Mort d'Idriss Déby au Tchad: ouverture du procès de 454 rebelles pour "assassinat"
Le procès de 454 rebelles présumés au Tchad, tous accusés de l'"assassinat" de l'ancien président Idriss Déby Itno, tué au front en 2021 lors de leur offensive, s'est ouvert lundi à huis clos, dans un pays régulièrement pointé du doigt pour des procès de masse expéditifs.
L'audience de la Cour criminelle de la Cour d'Appel de N'Djamena, tenue dans l'enceinte de la prison de Klessoum, à une vingtaine de km au sud-est de la capitale, a été ajournée à mercredi aussitôt après la lecture de l'acte d'accusation.
Les accusés sont "plus de 400" a déclaré à l'AFP le procureur général de N'Djamena Mahamat El-Hadj Abba Nana, par téléphone à la sortie de l'audience. "Ils sont 454 accusés", dont 386 présents, ont détaillé des avocats à l'AFP.
Au printemps 2021, le plus puissant alors des groupes rebelles, le Front pour l'Alternance et la Concorde au Tchad (FACT), avait lancé, à partir de ses bases arrières en Libye, une offensive en direction de la capitale N'Djamena.
Le 20 avril, l'armée annonçait que le maréchal Déby, qui dirigeait le Tchad depuis plus de 30 ans d'une main de fer, avait été tué au front par les rebelles et nommait un de ses fils, le jeune général Mahamat Idriss Déby Itno, président de la République pour une période de transition, à la tête d'une junte militaire de 15 généraux.
Ce procès survient deux mois après que 262 personnes, sur 401 accusées dont 80 mineurs, ont été condamnées à de lourdes peines de détention, après avoir été arrêtées avant, pendant et après une manifestation qui a tourné au bain de sang le 20 octobre 2022.
Une cinquantaine de jeunes gens avaient ce jour-là été tués, essentiellement par balles, par les forces de l'ordre, lors de cette marche dénonçant le maintien au pouvoir du général Déby au-delà des 18 mois de transition après lesquels il avait promis de remettre le pouvoir aux civils par des élections "libres et démocratiques".
-"Procès de masse"-
Les ONG internationales et certaines capitales occidentales se sont émues de ce "procès" de masse, tenu dans la prison de Koro Toro, en plein milieu du désert à 600 km de N'Djamena, en l'absence d'avocats et de la presse indépendante.
Les 454 accusés de Klessoum comparaissent pour "terrorisme, mercenariat, enrôlement d’enfants, atteinte à la sûreté nationale et l'assassinat" du président Déby, et encourent la perpétuité.
"Le président Idriss Déby Itno est monté au front à cause d'eux, il a été tué. Ils sont tous poursuivis pour l'assassinat du président", a expliqué à l'AFP le procureur général Abba Nana.
"Ils sont tous accusés de l’assassinat" de l'ex-chef de l'Etat a confirmé à l'AFP Me Francis Lokoulde, l'un des avocats des rebelles présumés, tous arrêtés durant l'offensive d'avril 2021, stoppée par l'armée en plein désert à plus de 200 km à vol d'oiseau au nord de N'Djamena, avant ou après la mort du maréchal Déby. Ce dernier a été tué dans son convoi par des tirs de mitrailleuse lourde alors qu'ils se rendait sur le front, selon le pouvoir.
-"Justice expéditive"-
L'offensive et la capture des accusés datent de près de deux ans et le procès de Klessoum a été annoncé publiquement, à la surprise générale, quelques jours avant son ouverture.
Les avocats, pour bon nombre commis d'office, ont protesté devant ce délai aussi court, soulignant notamment que l'unique volumineux dossier commun à tous les accusés ne leur a été transmis qu'à la "toute dernière minute".
"Nous avons renvoyé le procès à mercredi pour permettre à chaque prévenu d'être assisté par un avocat pour qu'ils soient bien défendus", a déclaré lundi à l'AFP le procureur général Abba Nana.
Lors d'un Dialogue de réconciliation nationale à l'automne 2022, boycotté par l'opposition et les plus puissants groupes armés dont le FACT, Mahamat Déby "avait promis de libérer les éléments du FACT (...), or nous avons appris aujourd’hui qu'ils seront jugés pour terrorisme", a déploré lundi auprès de l'AFP Mahamat Nour Ahmed Ibedou, président de la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH) au Tchad.
"Cela ne présage rien de bon pour la suite (...), parce qu’à chaque fois qu’il y a des arrestations de masse, c’est pour une justice expéditive dans un procès de masse", s'est-il inquiété.
Fin janvier, l'ONG Human Rights Watch (HRW) avait dénoncé le "procès de masse" des jeunes présumés manifestants dans la prison de Koro Toro mais aussi accusé le pouvoir de "meurtres", "disparitions forcées" et "actes de torture" pendant le long périple qui a mené 401 d'entre eux jusqu'à cette prison de haute-sécurité et durant leur séjour.
Certaines de ces accusations ont été corroborées dans des témoignages recueillis par l'AFP auprès de jeunes détenus remis en liberté.
E.Abril--ESF