Fuite à haut risque de Corée du Nord pour un monde où "tout est possible"
Par une nuit de tempête, M. Kim a embarqué sa famille dans son navire en bois qu'il a construit lui-même et fui la Corée du Nord, dans l'espoir d'offrir à ses enfants "un monde meilleur" où "tout est possible".
"J'ai étudié le terrain et les conditions météorologiques et je suis parti pendant la pire nuit d'alerte de météo marine", raconte le transfuge dans un entretien à l'AFP, des mois après son arrivée à Séoul.
Des dizaines de milliers de Nord-Coréens ont fui vers la Corée du Sud depuis que la péninsule a été divisée en deux par la guerre dans les années 1950, mais la plupart choisissent de se rendre par voie terrestre vers la Chine voisine.
Les désertions par la mer sont extrêmement rares et bien plus dangereuses, peu osent traverser la Northern Limit, la frontière maritime de facto.
Mais M. Kim, un pêcheur de 31 ans qui a requis l'anonymat pour des raisons de sécurité, était certain d'y parvenir et, malgré deux tentatives infructueuses, il a finalement réussi à fuir avec sa famille de neuf personnes.
Pendant des mois, il a attendu le moment opportun, étudiant les circuits des patrouilles aux frontières, et s'est décidé en mai quand Pyongyang a commencé à lever ses blocus côtiers instaurés lors du confinement de la pandémie de Covid.
Tous les membres de la famille du transfuge, y compris son enfant de trois ans, ont oeuvré au succès de leur évasion, assure M. Kim, qui a accepté l'usage de son nom de famille, très commun en Corée.
- "Aucune liberté" -
En Corée du Nord, le père de famille menait une vie paisible, travaillant pour devenir un jour propriétaire de son propre bateau.
Il a commencé comme membre d'équipage sur un bateau de pêche, puis il a appris à faire de la plongée pour mieux gagner sa vie.
"On peut désormais mener une vie stable en Corée du Nord si on planifie bien et travaille dur, mais il n'y a aucune liberté", confie-t-il.
Le pêcheur-plongeur a fini par avoir les moyens de construire son propre bateau en bois, qu'il a exploité pendant environ cinq ans avant de décider de sa défection et de fuir par la mer pour la Corée du Sud.
Il a pris sa décision le jour où ses enfants sont rentrés de l'école après "une absurde séance de lavage de cerveau", dit-il.
"Je voulais qu'ils puissent faire, dire et voir ce qu'ils veulent", explique-t-il. Or, "cela n'existe pas en Corée du Nord", déplore le jeune père qui "voulait leur montrer qu'il y a un monde meilleur, un monde plus vaste là-dehors".
- "Une deuxième naissance" -
En Corée du Sud, le transfuge a passé des mois de débriefing sur le Nord, et peut désormais se consacrer à sa nouvelle vie.
"C'est comme une deuxième naissance", se félicite M. Kim.
"Au Nord, je ne voyais des avions voler que dans mes rêves, dans les films et les séries télévisées, mais à présent je peux réellement voler", poursuit-il.
Début décembre, au COEX Convention Centre de Séoul, il a participé au salon de l'emploi pour les Nord-Coréens, premier événement de ce type en neuf ans.
Certains transfuges peinent à s’intégrer. Ils se trouvent confrontés à une multitude de défis d'ordre linguistique, culturel et pratique à surmonter dans la société sud-coréenne, au développement économique bien plus avancé qu'au Nord après des décennies de division.
Le salon de l'emploi est l'une des nombreuses initiatives organisées par le gouvernement sud-coréen pour les aider.
M. Kim raconte avoir été stupéfait par les dizaines d'opportunités d'emploi présentées au salon, auquel participaient environ 100 entreprises et institutions publiques.
"Comme j'arrive directement du Nord, je suis assez surpris qu'une telle culture existe", dit-il en tenant une pile de brochures.
Au Nord, il avait passé des années à travailler dans l'industrie de la pêche en Corée du Nord, rêvant en vain de devenir pilote de navire.
Là-bas, c'était impossible. L'industrie maritime nord-coréenne est étroitement contrôlée, avec un accès aux emplois très restreint, qui dépend de l'expérience et des relations.
"Pour les gens ordinaires, (devenir navigateur) n'est qu'un rêve grandiose", déplore encore M. Kim.
"Mais ici, j'ai entendu dire que tout est possible si on fait un petit effort, alors je vais essayer".
V.Martin--ESF