Avortement: des entreprises américaines s'impliquent, mais pas sans risque
Quelques entreprises américaines ont pris position vendredi sur l'annulation du droit à l'avortement en promettant notamment à leurs employés de rembourser les frais médicaux nécessaires, mais le sujet est délicat au vu des potentiels risques juridiques, voire d'un retour de bâton politique.
La décision de la Cour suprême "met en danger la santé des femmes, les prive de leurs droits et menace de démanteler les progrès que nous avons réalisés vers l'égalité des sexes sur le lieu de travail" depuis l'arrêt garantissant l'accès à l'avortement de 1973, a ainsi réagi le patron du site Yelp, Jeremy Stoppelman.
"Les chefs d'entreprises doivent s'exprimer maintenant et demander au Congrès" d'inscrire ce principe dans la loi, a-t-il ajouté sur Twitter.
Peu de grandes entreprises ont condamné aussi abruptement la décision de la Cour suprême.
Plusieurs se sont en revanche engagées à s'assurer que leurs employées, où qu'elles travaillent, puissent accéder à un avortement en leur remboursant au besoin les frais de voyage dans un Etat où la procédure médicale est légale.
Quelques entreprises comme Yelp ou Airbnb avaient déjà franchi le pas en septembre après l'entrée en vigueur au Texas d'une loi interdisant toute IVG à partir du moment où un battement de cœur du fœtus est perceptible à l'échographie.
Peu à peu, d'autres comme Citigroup, Tesla ou Amazon, ont modifié la couverture santé proposée à leurs employés. Une autre vague comprenant Starbucks, Levi Strauss et JPMorgan Chase a suivi après une fuite dans la presse début mai annonçant le possible revirement de la Cour suprême sur la question de l'avortement.
Certaines les ont rejointes vendredi, à l'instar de Disney qui a envoyé un mémo à ses employés leur assurant que l'entreprise s'engageait à leur fournir un accès à des soins de qualité "peu importe où ils habitent", selon la chaîne d'informations CNBC.
- A double tranchant -
De nombreuses sociétés sont restées silencieuses. Cela ne veut pas dire qu'elles n'offrent pas les mêmes aménagements dans leur assurance santé.
Mais s'exprimer publiquement est à double tranchant, remarque Maurice Schweitzer, professeur à l'université Wharton de Pennsylvanie.
"D'un côté, elles veulent s'impliquer, montrer l'exemple, parce que c'est important pour leurs employés, surtout dans le secteur de la tech", explique-t-il.
Sur l'immigration, les droits des LBGTQ, les armes à feu, le racisme... plusieurs grands patrons ont choisi de s'exprimer publiquement. Mais sur l'avortement, "le paysage juridique va changer", rappelle M. Schweitzer.
Lyft par exemple, qui s'est engagé à payer les frais de justice de chauffeurs qui seraient traînés devant les tribunaux pour avoir transporté une femme dans un autre Etat pour avorter, "pourrait aussi être poursuivi". Tout comme les entreprises qui modifient leur couverture santé.
Les patrons gardent par ailleurs à l'esprit la récente déconvenue de Disney en Floride.
L'entreprise avait initialement décidé de ne pas se prononcer contre une loi interdisant d'enseigner des sujets en lien avec l'orientation sexuelle ou l'identité de genre à l'école primaire.
Poussé par des employés, le patron, Bob Chapek, a finalement ouvertement critiqué le texte, suscitant l'ire du gouverneur conservateur Ron DeSantis et conduisant à la suppression d'un statut administratif favorable dont bénéficiait le parc d'attractions Disney World depuis les années 1960 dans cet Etat.
Au final, analyse M. Schweitzer, l'affaire a "frustré des employés reprochant à l'entreprise de ne pas s'être exprimée plus tôt" et a "coûté de l'argent en raison de la réaction des responsables politiques".
E.Abril--ESF