En Crimée, des vacances à quelques encablures des combats
Alexandra Roumiantseva bronze sur une plage dans les faubourgs de Sébastopol et s'efforce d'occulter de son esprit les nouvelles liées à l'assaut russe contre l'Ukraine quand, soudain, un avion de combat russe fend le ciel.
"Je ne peux pas dire qu'on soit totalement détendus", admet cette femme de 31 ans, responsable d'un fonds caritatif, arrivée de Saint-Pétersbourg avec son mari et ses deux jeunes fils. "Si on sent que ça se gâte, on rentre".
Comme elle, des milliers de Russes passent leurs vacances dans la péninsule ukrainienne de Crimée, annexée en 2014 par Moscou et base arrière de l'armée russe à l'offensive en Ukraine.
Si les adolescents sautant des rochers dans la mer et les voyageurs torse nu, bière à la main et grillades sur le feu, donnent un air de normalité estivale à ce lieu de villégiature, la réalité est que le front n'est pas si loin.
- Des combats à 300 ou 400 km -
A 300 ou 400 km au nord de Sébastopol, les combats sont une réalité au quotidien.
Et cette ville portuaire abrite la flotte russe de la mer Noire dont les navires, déployés en mer, tirent presque tous les jours sur le territoire ukrainien.
Les liaisons aériennes civiles vers la Crimée sont d'ailleurs suspendues depuis fin février, du fait des affrontements à proximité.
Le trajet se fait donc en voiture et en train.
Pour gagner les plages, Alexandra Roumiantseva raconte avoir couvert, avec sa famille, 2.500 kilomètres en voiture à partir de Saint-Pétersbourg, empruntant le viaduc qui relie le territoire russe à la péninsule.
Et cela en dépit des rumeurs sur des tentatives ukrainiennes d'attaquer ce pont. "Évidemment, cela inquiète les gens".
Sur la route des vacances, elle dit aussi avoir croisé une colonne de véhicules militaires russes.
Au cours d'un passage à Sébastopol mi-juillet, les journalistes de l'AFP ont aussi observé des navires de guerre russes croisant à l'horizon et, de jour comme de nuit, des avions de combat étaient audibles ou visibles dans les cieux.
Dans la ville, des chants patriotiques résonnent et des souvenirs frappés de la lettre "Z", symbole des forces armées russes en Ukraine, sont vendus aux touristes.
- "Ils ont peur" -
Mais surtout, la Crimée est frontalière de la région ukrainienne de Kherson, en partie occupée par les soldats russes.
Or les forces ukrainiennes y ont déclenché, avec de premiers succès, une contre-offensive, avec l'objectif de la reprendre d'ici à la fin de l'été.
Les autorités ukrainiennes ont en outre toujours clamé ces huit dernières années qu'un jour elles reprendraient aussi la péninsule.
Du coup, l'éventualité de frappes en Crimée n'est pas à exclure, d'autant que Kiev possède des drones et des canons de longue portée fournis par ses alliés. En juin déjà, des plateformes de forage d'hydrocarbures au large de ce territoire, ont été touchées par des tirs ukrainiens.
Les risques liés au conflit, les difficultés d'accès, mais aussi les premiers effets des sanctions occidentales sur le portefeuille des Russes ont sans surprise entraîné une baisse de la fréquentation touristique en Crimée. La saison s'annonce donc morose.
"On dirait que seuls les locaux se reposent ici cette année", constate Anna Zaloujnaïa, une habitante de Sébastopol de 28 ans, interviewée par l'AFP sur une plage de sable du nord de la ville.
Albert Agagoulian, 69 ans, tient un petit restaurant de grillades à proximité.
L'endroit est quasiment vide. Ce colonel à la retraite de l'armée de l'air soviétique ne peut que constater la chute de ses revenus.
"A ma grande honte, je n'ai pas pu payer une colonie de vacances à mon enfant", explique cet homme en débardeur, assis d'arrière le comptoir de son commerce. "Les gens ne viennent pas parce qu'ils ont peur".
Viktor Borodouline, un ingénieur toujours actif du haut de ses 77 ans, dit, quant à lui, être "très inquiet" à cause du conflit, confiant sa "douleur" après que l'Ukraine a réussi à couler en avril le navire amiral de la Russie en mer Noire, le Moskva, une gifle pour Moscou.
Mais, cet habitant du village de Katcha en Crimée se réjouit à l'inverse de pouvoir se procurer des fruits et des légumes en provenance des territoires ukrainiens récemment occupés par la Russie.
"Aujourd'hui, j'ai pu acheter des produits venus de Kherson, pour moi, c'est une grande joie".
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L.Cabrera--ESF