Birmanie: Aung San Suu Kyi condamnée à trois ans de prison supplémentaires
La junte birmane a condamné jeudi Aung San Suu Kyi à trois ans de prison supplémentaires pour violation de la loi sur les secrets officiels, au cours d'un procès fleuve dénoncé comme politique par la communauté internationale.
Cette énième sentence vient s'ajouter aux 20 ans de prison déjà prononcés contre l'ex-dirigeante, notamment pour corruption et fraude électorale, motif pour lequel la peine a été assortie de travaux forcés.
La prix Nobel de la paix, âgée de 77 ans, encourt en tout plus de 120 ans de prison pour les multiples infractions dont les militaires l'accusent.
Le tribunal a également condamné son ex-conseiller, l'économiste australien Sean Turnell, ainsi que trois autres prévenus, des anciens ministres, à une peine identique, selon la même source.
"Sean Turnell, Daw Aung San Suu Kyi et les trois autres ont été condamnés à trois ans de prison chacun en vertu de la loi sur le secret d'Etat", a déclaré cette source à l'AFP sous couvert d'anonymat, ajoutant que Mme Suu Kyi ferait appel de son verdict.
La ministre australienne des Affaires étrangères, Penny Wong, a rejeté la condamnation de M. Turnell et demandé sa "libération immédiate".
L'accumulation de condamnations démontre que la junte n'a "aucun scrupule à assumer son statut de paria international", a déclaré Elaine Pearson, directrice pour l'Asie de Human Rights Watch.
Une "action concertée" de la part des pays est nécessaire "pour redresser la situation des droits de l'homme dans le pays", a-t-elle ajouté.
Arrêtée au moment du putsch en février 2021, qui a mis fin à une décennie de transition démocratique en Birmanie, Aung San Suu Kyi a été placée à l'isolement dans une prison de Naypyidaw fin juin.
C'est dans cet établissement de la capitale birmane que se poursuit son procès, qui a débuté il y a plus d'un an, à huis clos, ses avocats ayant interdiction de parler à la presse et aux organisations internationales.
M. Turnell, professeur d'économie australien, était conseiller d'Aung San Suu Kyi lorsqu'il a été arrêté quelques jours après le coup d'État militaire. La source a ajouté qu'une accusation distincte le visait, en vertu de la loi sur l'immigration.
Son arrestation a suscité l'indignation des diplomates australiens, qui ont fait pression sur les pays voisins de la Birmanie pour obtenir leur aide.
Les autorités birmanes ont aussi condamné fin août une ex-ambassadrice du Royaume-Uni en Birmanie et son mari artiste à un an de prison pour avoir enfreint la loi sur l'immigration.
- "Acharnement judiciaire" -
De nombreuses voix dénoncent un acharnement judiciaire qui serait fondé sur des motifs politiques, avec pour but d'écarter définitivement la fille du héros de l'indépendance, grande gagnante des élections de 2015 et de 2020.
Plusieurs de ses proches ont été condamnés à de lourdes peines. Un ancien député de son parti condamné à mort, Phyo Zeya Thaw, a été exécuté fin juillet.
La junte se défend de ces accusations et promet même d'ouvrir des négociations avec Aung San Suu Kyi une fois son procès terminé.
"Bien que nous aurions pu prendre des mesures plus sévères, nous sommes indulgents avec elle", a déclaré le chef de la junte Min Aung Hlaing, lors d'un entretien en août avec l'émissaire des Nations unies, dans des propos relayés par un journal d'Etat.
Aung San Suu Kyi reste une figure populaire en Birmanie, même si son image internationale a été écornée par son incapacité à défendre la minorité musulmane des Rohingyas, victimes d'exactions de l'armée en 2016 et 2017 - un "génocide" selon Washington.
- Elections en 2023? -
Les envoyés spéciaux de l'ONU et de l'Asean (Association des nations d'Asie du Sud-Est) n'ont pas été autorisés à la rencontrer lors de leur dernière visite, comme un symbole de l'échec des efforts diplomatiques entrepris depuis plusieurs mois qui n'ont pas sorti la Birmanie du chaos.
L'armée espère organiser des élections à l'été 2023, dès que le pays sera "en paix et stable", selon Min Aung Hlaing qui a aussi annoncé une "réforme" du système électoral.
Les Etats-Unis ont déjà appelé la communauté internationale à ne pas soutenir ce projet, un "simulacre" électoral, selon le secrétaire d'Etat Antony Blinken.
Depuis le putsch, plus de 2.200 civils ont été tués par les forces de sécurité et plus de 15.000 arrêtés, selon une ONG locale.
V.Morales--ESF