Décès d'Elza Soares, la diva noire de la chanson brésilienne symbole de résistance et de courage
La diva noire de la chanson brésilienne Elza Soares, décédée jeudi à 91 ans à Rio de Janeiro, a marqué l'histoire de la musique par sa polyvalence et sa personnalité, aussi frappantes que sa voix.
Née le 23 juin 1930 dans une famille pauvre, Elza Soares est parvenue toute au long de sa carrière de plus de 60 ans à évoluer avec aisance dans les environnements les plus divers, de la favela d'Agua Santa, dans la banlieue de Rio où elle a grandi, aux salles de concert du monde entier.
Samba, jazz, bossa nova, et même rock convenaient à la voix rauque de la chanteuse. Au début de sa carrière, on a même pensé que ce timbre si caractéristique était dû à une anomalie.
"On disait ça avant, mais personne n'a de corde vocale supplémentaire, c'est un truc de fou. Elle est tordue, je pense qu'elle est tordue, car tout dans ma vie a commencé de travers", racontait la chanteuse dans un entretien sur une chaîne brésilienne en 2002.
Tout comme sa carrière, la vie personnelle d'Elza Gomes da Conceição Soares, décédée jeudi de "causes naturelles" à son domicile, a alterné joies et drames.
Forcée à se marier à 12 ans, elle a son premier enfant l'année suivante. À 21 ans, elle est déjà veuve et a donné naissance à sept enfants, dont cinq seulement ont survécu.
En difficultés financières, elle décide en 1953 de participer à une émission musicale radiophonique. Lorsque le présentateur se moque de son apparence en demandant "De quelle planète venez-vous ?", elle répond sèchement : "De la planète de la faim". Après sa prestation, il déclare : "Mesdames et Messieurs, une étoile est née".
En 1962, lors de la Coupe du monde de football au Chili, où elle a été invitée pour être la marraine de l'équipe brésilienne, la star américaine Louis Armstrong est charmé par la chanteuse et son "saxophone dans la gorge".
Elle entretient pendant 17 ans une relation à la fois fusionnelle et orageuse avec Garrincha, légende du foot brésilien, décédé en 1983, meurtri par les ravages de l'alcool.
Trois ans plus tard, le fils du couple décède à l'âge de 9 ans, dans un accident de la route.
Quatre des huit enfants de l'artiste sont décédés.
- "Il faut vivre, avoir de la force" -
La chanteuse à la tignasse flamboyante a connu plusieurs renaissances musicales. En 1984, elle enregistre "Lingua" avec Caetano Veloso. En 1999, la BBC la sacre "chanteuse brésilienne du millénaire".
Lors de l'ouverture des Jeux panaméricains à Rio en 2007, elle est choisie pour chanter l'hymne national brésilien a capella.
Avec la sortie de l'album "A Mulher do Fim do Mundo" ("La femme de la fin du monde") en 2015, les nouvelles générations la découvrent. Le disque qui traite du racisme, du machisme, de la violence envers les femmes, connaît un succès retentissant et remporte le Grammy latino du meilleur album de chanson brésilienne.
A partir de "Deus é mulher" ("Dieu est une femme") sorti en 2018, le public la voit chanter assise, à la suite de plusieurs opérations du dos qui ont réduit sa mobilité. Mais elle n'a rien perdu de son enthousiasme.
"Je vais te dire un truc : mon âge n'a rien à voir avec mon énergie", confiait-elle à l'AFP à l'occasion de la sortie de ce disque.
La chanteuse se montrait aussi critique envers la vague conservatrice liée à la poussée des églises néo-pentecôtistes, qu'envers les inégalités béantes d'un pays encore frappé par de graves problèmes de racisme.
"Nous vivons dans un pays plein de préjugés, c'est horrible. C'est ma patrie, je l'aime à la folie. Mais nous n'avons pratiquement pas de droits. Les pauvres, les Noirs, les femmes, où sont leurs droits ?", s'insurgeait-elle.
"Je n'ai pas peur de la mort, j'ai peur de la vie. Elle est si mauvaise pour les gens que je me dis : +Mon Dieu, comment peuvent-ils la supporter ?+. Mais il faut vivre, il faut avoir de la force", confiait encore celle qui était devenue pour les Brésiliens un symbole de résistance et de courage.
A.Abarca--ESF