Querelles de partis autour du nouveau siège du Parlement indien
Le pays le plus peuplé du monde inaugure dimanche le nouveau siège du Parlement, l'un des grands projets mis en oeuvre par le Premier ministre nationaliste hindou Narendra Modi pour refaçonner la capitale de l'Inde, mais les partis d'opposition dénoncent une "grave offense" à la démocratie.
M. Modi cherche depuis longtemps à éliminer les vestiges de la domination britannique. Le nouvel édifice hexagonal qu'il a voulu, jouxte celui bâti à l'époque coloniale par les architectes britanniques Edwin Lutyens et Herbert Baker, qu'il remplacera désormais.
Le puissant ministre indien de l'Intérieur, Amit Shah, personnalité-clé de l'entourage de M. Modi, voit dans le nouvel édifice le symbole d'une "Inde autosuffisante et d'un pôle de concrétisation des espoirs et aspirations de tous les Indiens".
Ses détracteurs en revanche déplorent que le projet ait été instrumentalisé à des fins partisanes, avec M. Modi qui présidera à son inauguration dimanche plutôt que la cheffe de l'État, Droupadi Murmu.
- "La tradition du débat" -
Le Congrès, principal parti d'opposition, et 19 autres partis politiques ont annoncé mercredi qu'ils boycotteraient la cérémonie.
"L'Histoire ne se souviendra pas seulement de vous pour avoir bâti un bel ouvrage", a déclaré Pawan Khera, porte-parole du Congrès, "l'Histoire se souviendra si vous avez veillé à ce que l'esprit du lieu demeure vivant. L'Histoire se souviendra de vous pour cela, mais vous muselez les voix au sein du Parlement".
Tout le monde s'accorde à dire que l'actuel Parlement est étriqué, que ses installations sont obsolètes, que le nombre de bureaux et de salles de commission est insuffisant et qu'il fallait en changer.
Mais le nouveau siège, qui aurait coûté environ 145 millions de dollars, entre dans la cadre de l'ambitieux programme de M. Modi visant à rénover ou à remplacer les bâtiments gouvernementaux datant de l'ère britannique, dont la résidence du Premier ministre, dans le centre de New Delhi.
Baptisé "Central Vista", ce programme a rapidement été critiqué pour son manque de transparence, ses coûts élevés et des violations présumées de lois environnementales et foncières locales.
La nouvelle chambre basse a été dotée de 888 sièges, semblant indiquer que les autorités prévoient d'accroître de beaucoup le nombre de ses membres actuellement fixé à un maximum de 550.
Le Bharatiya Janata Party (BJP), parti de M. Modi pourrait en tirer avantage: si le nombre de députés était accru en fonction des chiffres du recensement de 2011, le nord et le centre du pays, densément peuplés et bastions du BJP, seraient beaucoup mieux représentés que le sud de l'Inde, plus développé et plus riche, où le BJP reste relativement plus faible.
L'ironie, avec cette inauguration, est que les détracteurs de M. Modi, l'accusent lui et son parti - après deux victoires électorales successives et une campagne déjà acharnée en vue des prochaines en 2024 - de saper la politique électorale elle-même.
"Sous Modi, le fonctionnement institutionnel profond de la démocratie, dont le Parlement est le meilleur représentant, s'est en fait effondré", estime Hartosh Singh Bal, rédacteur en chef du magazine d'actualité indien The Caravan.
"Toute la tradition du débat, de la dissidence, de la remise en question et de l'argumentation, qui est à la base d'une politique cohérente, a complètement disparu ou a été détruite", souligne-t-il.
- Leçons de l'Histoire -
Les opposants accusent le BJP d'étouffer les débats au sein du Parlement, de déployer des perquisitions fiscales, des enquêtes fédérales et des actions en justice pour affaiblir les principales figures de l'opposition.
Le Parlement a vécu des perturbations de séances en février à la suite du blocage par le gouvernement de requêtes de l'opposition et du chef du Congrès Rahul Gandhi, en faveur d'une enquête sur les liens éventuels entre M. Modi et le magnat Gautam Adani, dont le conglomérat a été accusé de fraude.
L'empire Adani nie ces accusations.
Le mois suivant, Rahul Gandhi était banni du Parlement indien en raison de sa condamnation à une peine de prison pour diffamation, à la suite d'une remarque faite durant la campagne électorale de 2019 dans l'Etat du Gujarat (ouest), dont le Premier ministre est originaire.
"L'Inde sans le Congrès" était le slogan de campagne du BJP porté au pouvoir en 2014, rappelle le porte-parole du Congrès.
"Ils veulent une démocratie sans opposition", a-t-il ajouté, "comment peut-il y avoir démocratie sans opposition?".
De son côté, Amit Malviya, menant la campagne du BJP sur les médias sociaux, entend replacer le boycott de l'inauguration du nouveau siège parlementaire dans le contexte du colonialisme, dressant un parallèle avec celle du siège actuel en 1927 par le vice-roi Lord Irwin, en présence de Motilal Nehru, l'arrière-arrière-grand-père de Rahul Gandhi.
"Le Congrès, qui à l'époque n'avait aucun scrupule à faire des génuflexions devant les Britanniques, a aujourd'hui un problème pour assister à l'inauguration, même si la personne qui dirige la cérémonie est un Premier ministre démocratiquement élu", a-t-il déclaré à l'AFP, "comment expliquer la loyauté du Congrès envers les Britanniques et son mépris pour le peuple indien?"
M.Aguado--ESF