Taylor Swift et Beyonce valent-elles des journalistes à plein temps ?
Un journal a-t-il besoin de reporters pour suivre exclusivement Taylor Swift ou Beyonce ? Oui, répond le groupe Gannett, propriétaire de USA Today, dont l'annonce de recrutement a suscité curiosité et critiques mais révèle aussi à quel point les deux artistes sont des phénomènes culturels.
Le groupe de presse, propriétaire de plus de 200 quotidiens à travers les Etats-Unis, a taillé dans les effectifs de nombreuses rédactions ces dernières années, et incarne la crise que traverse la presse locale. En décembre dernier, il a encore licencié 6% des 3.440 salariés employés au sein de sa division médias.
Alors quand il a découvert la très sérieuse annonce de Gannett pour un poste de "Taylor Swift Reporter", suivie d'une autre similaire pour Beyonce, le sang du journaliste Brad Vidmar n'a fait qu'un tour.
"J'imagine que c'est le bon moment pour rappeler à Twitter que je suis le seul reporter d'infos à plein temps qui reste dans mon journal, vendu par Gannett en décembre", a-t-il écrit sur X (ex-Twitter).
Son journal de Burlington, dans l'Iowa, The Hawk Eye, a été racheté en 2016 par le groupe d'édition GateHouse, qui a absorbé Gannett en 2019 et pris son nom pour devenir le plus grand groupe de presse du pays. Et fin 2022, Gannett a revendu The Hawk Eye.
- Tournée record -
"Ils n'ont cessé de réduire les effectifs, de les réduire et de les réduire encore dans tous les domaines", explique le journaliste de 41 ans. "Mais, bien sûr, maintenant ils ont besoin de quelqu'un pour couvrir Taylor Swift", ironise-t-il.
D'après Gannett, les deux rubricards seront employés par USA Today et The Tennessean, le journal du réseau à Nashville, la capitale de la country où Taylor Swift a passé une partie de sa vie.
Le ou la future spécialiste de Taylor Swift, dont le poste s'ajoutera aux trois journalistes musicaux du Tennessean, aura pour mission de "capter l'excitation de sa tournée en cours", qui promet pour la première fois de l'histoire de la musique de dépasser le milliard de dollars de recettes, "tout en fournissant une analyse réfléchie de sa musique et de sa carrière".
Pas de quoi convaincre la branche new-yorkaise du syndicat de la presse NewsGuild, qui a résumé sur X sa vision de la stratégie de Gannett pour "faire à nouveau des bénéfices": "1. Licencier des centaines de journalistes 2. Détruire la couverture des informations locales 3. Embaucher un journaliste Taylor Swift".
- Raconter l'Amérique -
"Ces postes ne sont pas créés au détriment d'autres emplois", assure la cheffe de la communication de Gannett, Lark-Marie Anton, à l'AFP. Elle souligne que depuis mars, Gannett a recruté 225 autres journalistes et que plus d'une centaine de postes sont aussi ouverts à candidature.
"Taylor Swift et Beyonce Knowles-Carter sont des artistes et des femmes d'affaires. Leur travail a un impact économique énorme et une importance sociétale qui influence de nombreux secteurs et notre culture - elles façonnent une génération", ajoute-t-elle.
Fondateur et directeur du Centre Bleier pour la télévision et la culture populaire à l'Université de Syracuse (Etat de New York), Robert Thompson a lui aussi pensé que "(c'était) une blague" quand il a vu l'annonce.
Mais après mûre réflexion, il trouve que ce serait "stupide de rejeter tout cela d'un bloc". D'après lui, c'est une occasion de "raconter l'Amérique du XXIe siècle à travers ses personnages les plus populaires".
Robert Thompson comprend toutefois les critiques dans un contexte de restrictions budgétaires pour la presse locale.
Il prédit aussi que ces postes ne seront pas les carrières de "rêve" que certains prétendent. D'une part, parce que les fans de Taylor Swift et Beyonce sont connus pour défendre bec et ongles leur idole et que le moindre commentaire négatif peut déclencher des avalanches de critiques, jusqu'à des menaces de mort, sur les réseaux sociaux. D'autre part, parce que les univers de Taylor Swift et Beyonce sont bien gardés par leur entourage et difficiles à pénétrer.
Au-delà des fans, "les yeux de la profession seront braqués sur ces pauvres gens lorsqu'ils seront enfin embauchés", souligne-t-il. "Leur premier papier, il aura intérêt à être vraiment bon".
S.Lopez--ESF