La justice serbe acquitte des espions pour le meurtre d'un journaliste
D'anciens responsables des services du renseignement serbe ont été acquittés vendredi du meurtre du journaliste Slavko Curuvija, après près de 25 ans de procédure, un verdict dénoncé par la famille, les proches et les confrères de cette voix indépendante des années 1990.
Slavko Curuvija, propriétaire et rédacteur en chef de deux journaux indépendants, était l'une des voix critiques les plus influentes dans la Serbie des années 1990.
Il a été abattu de 13 balles devant son domicile à Belgrade le 11 avril 1999. La Serbie était alors sous les bombes de l'Otan, une opération lancée en réponse à la répression brutale par le régime de Milosevic de la rébellion indépendantiste des Albanais du Kosovo.
Quelques jours avant son assassinat, les médias pro-gouvernementaux avaient qualifié le journaliste de 49 ans de "traître" et l'avaient accusé d'être pour la campagne de bombardement de l'OTAN sur la Serbie.
L'ancien chef du renseignement, Radomir Marković, et un autre haut responsable, Milan Radonjić, avaient été condamnés à 30 ans de prison. Deux autres membres importants des services de sécurité, Ratko Romić et Miroslav Kurak, avaient eux été condamnés à 20 ans de prison chacun.
Mais le procureur et la défense avaient fait appel.
"En l'absence de preuves directes et indirectes qui confirmeraient de manière fiable l'implication des accusés Markovic, Radonjic, Kurak et Romic", la cour d'appel a annoncé décider de les acquitter.
Radomir Marković purge déjà une peine de prison de 40 ans pour le meurtre de l'ancien président serbe Ivan Stambolić et de quatre autres chefs politiques d'opposition dans les années 1990.
- "Verdict scandaleux" -
Il s'agit du premier verdict final en Serbie pour le meurtre d'un journaliste : il n’y a toujours aucun épilogue judiciaire pour les meurtres des journalistes Milan Pantić, assassiné en 2001, et Dada Vujasinović, tuée en 1994.
Cette décision "est terriblement troublante pour la famille, les amis, les collègues et les admirateurs de ce journaliste tué parce qu'il a publiquement critiqué le régime de Slobodan Milosevic", a réagi sur X le fonds Slavko Curuvija.
"C'est un signal très clair que l'Etat n'est pas capable d'affronter la part la plus sombre de ses services secrets des années 1990 et qu'ils ont encore une énorme influence sur la justice et la vie politique serbe", a ajouté le fonds.
"Je suis choquée par ce verdict scandaleux", a réagi la fille du journaliste tué auprès du site d'information N1: "c'est la preuve que les forces sombres des années 1990 gouvernent encore ce pays".
Cet acquittement "représente un coup dur pour la lutte contre l'impunité des crimes commis contre les journalistes dans les Balkans", a déclaré Pavol Szalai, représentant de l'ONG Reporters sans frontières dans les Balkans.
"Un triste jour pour le journalisme", a réagi l'ambassadeur américain en Serbie Christopher Hill sur X.
"Quand sera-t-il l'heure pour les journalistes de se révolter ? Parce qu'ils ont montré qu'on avait le droit de tuer des journalistes", a lancé dans la soirée Zelijio Bodrozic, à la tête de l'Association des journalistes indépendants serbes.
"Je travaille parce que je veux que ce pays soit organisé de telle manière que les rédacteurs en chef et les journalistes puissent créer librement leurs propres journaux, que ces journaux puissent être vendus librement et que les citoyens puissent les lire librement", avait déclaré Slavko Ćuruvija peu de temps avant sa mort.
En 2023, la Serbie était 91e sur 180 au classement de Reporter sans Frontières sur liberté de la Presse.
M.F.Ortiz--ESF