Entre YouTube, TikTok et Vimeo, le français Dailymotion cherche sa place
Offre élargie à destination des professionnels, vidéos verticales et appels du pied aux créateurs de contenus: Dailymotion se repositionne pour espérer atteindre la rentabilité près de 20 ans après son lancement, dans un paysage dominé par YouTube, TikTok ou encore Vimeo.
Fin mars, Dailymotion, dont le lecteur vidéo est utilisé par 90% des médias en France, a annoncé élargir son offre à destination des entreprises, notamment dans le secteur du commerce, du marketing, de la communication interne et de la diffusion d'événements en direct.
La société propose ainsi, contre abonnement, une solution d'hébergement vidéo, un accompagnement technologique, une intégration facilitée et personnalisable du lecteur vidéo et une analyse des données.
Baptisée "Dailymotion Pro", l'offre vise 10.000 clients d'ici à 2028 et "doit participer à la croissance et au retour à l'équilibre de Dailymotion", a indiqué Guillaume Clément, directeur des opérations, lors d'une conférence de presse.
L'entreprise est déficitaire depuis des années même si, grâce à une croissance à deux chiffres, elle semble se rapprocher de la rentabilité.
Depuis 2019, le groupe avait accumulé plus de 182 millions d'euros de pertes, avançait La Lettre en juillet 2023.
Elles s'établissaient à 36,6 millions d'euros en 2022, selon le média, mais le chiffre d'affaires a augmenté de 29,5% cette année-là, a indiqué le propriétaire Vivendi.
Pour 2023, le budget prévisionnel tablait sur un déficit de 26,8 millions, d'après La Lettre, qui n'a pas été officialisé par la maison mère.
- Survivant -
Créé en 2005, un mois après YouTube, par les Français Benjamin Bejbaum et Olivier Poitrey, Dailymotion fait, à ses débuts, figure d'étendard tricolore, pionnier dans le partage de vidéos.
Mais, rapidement, il ne fait plus le poids face au concurrent américain, racheté par Google en 2006.
"Il ne suffit pas d'avoir une solution technique, il faut pouvoir monter en régime très vite" et acquérir une dimension internationale, ce qui nécessite beaucoup d'argent, explique à l'AFP Julien Pillot, économiste spécialiste des industries culturelles à l'INSEEC.
Confronté aux milliards de dollars investis par Google dans YouTube, au sein d'un univers ultra concurrentiel, "il y a beaucoup de monde au cimetière et Dailymotion a le mérite d'avoir résisté", ajoute-t-il.
Élément d'explication: après une histoire actionnariale mouvementée, ponctuée par des interventions de l’État pour empêcher une cession à l'étranger, la prise de contrôle par Orange pour recapitaliser l'entreprise, Dailymotion dispose depuis le rachat par Vivendi en 2015 d'un "actionnariat fort et stable", pour M. Pillot.
Dans l'ombre du puissant YouTube, ultra généraliste, qui fait figure "d'hypermarché" du contenu, Dailymotion s'est recentré sur le marché des professionnels, à l'image de plateformes comme Vimeo, Brightcove et JW.
Une situation qu'ont vécue un grand nombre de start-up de l'internet, "qui avaient essayé de se développer sur du grand public en tablant sur des marchés de plusieurs millions d'internautes et qui, finalement, se sont aperçues que c'était très difficile de rentabiliser des modèles gratuits ou quasi gratuits", souligne à l'AFP Pierre-Jean Benghozi, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de l'économie numérique.
- "Avantage compétitif" -
Mais l'entreprise n'a pas pour autant abandonné le grand public, puisqu'elle a lancé en 2023 une application de vidéos verticales, accompagnée d'un appel aux créateurs de contenus, qui semble marcher sur les plates-bandes de TikTok.
Dailymotion, qui revendique 400 millions d'utilisateurs actifs par mois, a déclaré avoir multiplié par 5 le temps passé sur sa plateforme avec cette refonte.
Cela reste toutefois bien loin des 2,5 milliards d'utilisateurs mensuels de YouTube ou des plus de 1,7 milliard de TikTok.
Pour Julien Pillot, l'erreur consiste à comparer sans cesse Dailymotion à ces géants.
"C'est comme si vous compariez un club de foot de milieu de tableau en Ligue 1, comme le RC Lens, au Real Madrid", noté-t-il. "Ils font le même sport mais leurs objectifs ne sont pas les mêmes."
La plateforme française dispose toutefois d'un avantage compétitif, selon lui, au moment où l'Europe légifère sur la traçabilité des données et la sécurisation de leur hébergement.
"Le fait d'être européen peut leur donner un argument commercial supplémentaire auprès des entreprises par rapport à leurs concurrents, car elles doivent se mettre en conformité", estime M. Pillot.
M.Hernández--ESF