Biden lance, avec précaution, le chantier d'un "dollar numérique"
Le billet vert va-t-il changer d'ère, et avec lui toute la finance mondiale? Le président américain Joe Biden va lancer mercredi les travaux en vue d'un "dollar numérique", mais promet la plus grande prudence face à la multitude de risques liés à cette innovation.
Il va signer mercredi un décret demandant à son administration de donner "la plus grande importance au développement et à la recherche en vue d'une potentielle monnaie numérique de banque centrale" (CBDC, "central bank digital currency") des Etats-Unis, selon un communiqué.
S'il aboutit, un tel chantier pourrait révolutionner la finance mondiale, sur laquelle le dollar règne en maître. Mais le projet comporte une foule de risques: remise en cause de l'industrie bancaire traditionnelle, protection de la vie privée des utilisateurs, utilisation à des fins criminelles, dangers pour la sécurité des Etats etc.
"Nous devons être très, très consciencieux dans notre analyse parce que les implications" en cas d'adoption d'un dollar numérique seraient "très profondes pour le pays dont la devise est la principale monnaie de réserve mondiale", a souligné un haut responsable de la Maison Blanche, sous couvert d'anonymat, lors d'une conférence de presse.
Le haut responsable a assuré que les projets de monnaie numérique plus avancés dans d'autres pays ou zones monétaires "ne menacent pas" cette domination du dollar, atout financier mais aussi véritable arme stratégique pour les Etats-Unis, comme l'illustrent les sanctions prises contre la Russie.
Selon la Maison Blanche, plus de 100 pays réfléchissent à lancer, ou ont déjà expérimenté des monnaies numériques. L'un des plus avancés est la Chine, grande rivale des Etats-Unis pour la domination économique, politique et stratégique du monde.
- Pièces et billets -
Une monnaie numérique "officielle" est l'équivalent dématérialisé des pièces et des billets, qui sont en réalité des créances directes sur les banques centrales.
Elle peut donc en théorie être utilisée sans passer par le truchement d'une banque, ce qui est nécessaire à l'heure actuelle pour les paiements dématérialisés.
Les Etats veulent éviter de laisser cet espace à des acteurs privés, ou à des puissances étrangères.
Ce chantier d'un "dollar numérique" s'inscrit dans le cadre d'une vaste offensive que veut lancer Joe Biden pour mettre un peu d'ordre face au foisonnement des cryptomonnaies privées, extrêmement volatiles et par nature totalement décentralisées, dont la plus connue est le bitcoin.
Toute l'administration fédérale sera chargée d'identifier et de combattre la multitude de risques liés à ce phénomène: risques pour les consommateurs, risques pour la stabilité financière internationale, risques pour les entreprises victimes de cyberattaques et sommées de payer leurs agresseurs en cryptomonnaies, risques liés au blanchiment d'argent, et enfin risques pour la sécurité des Etats.
Sur ce dernier point, un haut responsable de l'administration américaine a assuré que l'exécutif américain "continuerait à combattre avec force" tout utilisation de cryptomonnaies "pour éviter des sanctions américaines, et cela s'applique aussi à la Russie", visée par de lourdes représailles économiques occidentales depuis l'invasion de l'Ukraine.
La même source a toutefois estimé que dans le cas de la Russie, "nous ne pensons pas que l'utilisation de cryptomonnaies soit un moyen viable de contourner les sanctions financières".
Le conseiller à la sécurité nationale américain Jake Sullivan et le principal conseiller économique de Joe Biden, Brian Deese, ont toutefois souligné dans un communiqué commun que "les gouvernements ne peuvent pas régler seuls ces problèmes, et surtout pas un gouvernement qui travaillerait de manière isolée".
Les deux responsables insistent sur la nécessité d'impliquer le secteur privé pour encourager des "innovations responsables" dans le monde des actifs numériques.
Ils assurent que les Etats-Unis s'engagent à "travailler à leurs alliés" à ce chantier titanesque, en gardant en tête les "valeurs démocratiques".
A.Fernández--ESF