Fraude fiscale: jugement mercredi pour les anciens dirigeants et cadres de Wendel
Ont-ils sciemment participé à un montage financier ultrasophistiqué visant à tromper le fisc sur des sommes colossales ? Le tribunal de Paris rend mercredi son jugement concernant les anciens dirigeants de Wendel, dont l'ex-président du Medef, Ernest-Antoine Seillière.
Quinze ans après les faits, la justice se prononce sur un programme d'intéressement baptisé Solfur, qui avait permis en 2007 à quatorze dirigeants et cadres de réaliser un gain net total de 315 millions d'euros, sans être imposé.
Le parquet national financier (PNF) a requis quatre ans de prison, dont deux ans ferme, à l'encontre du baron Seillière, 84 ans, héritier de la dynastie Wendel et à l'époque président du conseil de surveillance.
Se disant "indigné" d'être face à un tribunal, celui qui fut patron du Medef de 1997 à 2005 s'est vigoureusement défendu, comme tous les prévenus, d'avoir voulu éluder frauduleusement environ 30% d'impôt sur sa part de Solfur - 79 millions d'euros.
L'accusation a réclamé cinq ans de prison, dont trois ferme - une peine non-aménageable - pour l'ancien président du directoire, Jean-Bernard Lafonta, 60 ans, qui a depuis cofondé le fonds HLD.
Des peines allant jusqu'à deux ans ferme ont été requises contre onze cadres supérieurs et un ex-avocat fiscaliste poursuivi pour complicité, avec, pour tous, une amende de 37.500 euros et des interdictions professionnelles.
Le procès en janvier-février, aux débats techniques voire byzantins, a replongé le tribunal dans une autre époque, avant la crise financière de 2008.
- "Montage artificiel" -
Au début des années 2000, Wendel, entreprise sidérurgique fondée en 1704 en Lorraine devenue société d'investissement, connaît un changement de stratégie avec l'arrivée d'un jeune patron, Jean-Bernard Lafonta, qui multiplie les rachats par endettement.
Dirigeants, directeur financier, chargé d'investissements ou directrice de la communication investissent en 2004 dans Solfur et, en parallèle d'une réorganisation du groupe trois ans plus tard, deviennent propriétaires de 4,6% de Wendel, dont l'action est montée en flèche - ils réalisent un gain de près de 200%.
Par une succession d'opérations savantes, la plupart bénéficient alors d'un "sursis à imposition", un dispositif crée pour favoriser l'activité économique, permettant de différer la taxation sur ces plus-values.
Devenu désastreux pour beaucoup de cadres surtout après la crise des subprimes, Solfur suscite rapidement la fronde d'une administratrice, cousine d'Ernest-Antoine Seillière, et des procédures judiciaires en pagaille.
Puis, en décembre 2010, les cadres se voient notifier un lourd redressement de 240 millions. Pour le fisc, qui saisira en 2012 la justice, il s'agit d'un "abus de droit": le détournement d'un dispositif légal.
C'est "une des plus importantes fraudes fiscales (jamais) poursuivies devant un tribunal correctionnel", selon le PNF, qui a décrit un "montage artificiel", "complexifié" à dessein, avec un "but exclusivement fiscal".
Par d'autres mécanismes, évoqués dans des échanges de mails, ce report d'imposition aurait pu en outre devenir permanent, a fait valoir le PNF.
L'un des enjeux du dossier est de déterminer l'intention, ou pas, des prévenus à frauder: hautement qualifiés, ils ne sont pas des "madame et messieurs Jourdain" qui feraient de la fraude fiscale "sans s'en rendre compte", a balayé avec ironie l'accusation.
- De bonne foi -
Au contraire, les prévenus ont soutenu avoir cru, de bonne foi, pouvoir bénéficier de ce régime fiscal au vu de la jurisprudence de l'époque, confortés par l'expertise du réputé cabinet d'avocats Debevoise & Plimpton.
Principal bénéficiaire de Solfur avec 116 millions d'euros, Jean-Bernard Lafonta est aussi jugé pour complicité de la fraude de ses coprévenus, car il est soupçonné d'avoir "supervisé" le montage et "forcé la main" à certains cadres.
"Absurde", a assuré à la barre celui qui a démissionné de Wendel en 2009 dans le sillage de cette affaire et de la montée contestée au capital de Saint-Gobain.
Après des années de contentieux, la quasi-totalité des prévenus a conclu une transaction avec le fisc, se voyant pour certains rembourser des millions d'euros versés sur la base du premier redressement.
La banque JP Morgan, qui avait concédé des prêts massifs aux managers dans le cadre de Solfur, a elle aussi été renvoyée pour complicité de fraude fiscale. Elle a accepté en septembre de payer 25 millions d'euros d'amende via une transaction judiciaire pour clore les poursuites.
A.Pérez--ESF