El Siglo Futuro - Mexique: l'autre Cancun, celui des ouvriers qui vivent dos à la mer

Madrid -
Mexique: l'autre Cancun, celui des ouvriers qui vivent dos à la mer
Mexique: l'autre Cancun, celui des ouvriers qui vivent dos à la mer / Photo: © AFP

Mexique: l'autre Cancun, celui des ouvriers qui vivent dos à la mer

A Cancun, la perle touristique du Mexique sur la côte Caraïbe, visitée par des millions d'amateurs de mer turquoise chaque année, Yazmin Teran et Rosalina Gómez travaillent dur pour que leurs familles puissent aller à la plage, ne serait-ce que quelques jours par an.

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Originaires d'états pauvres du sud, les deux femmes habitent Villas Otoch Paraíso, une zone urbanisée à environ 30 kilomètres de la fastueuse zone hôtelière, emblème de la station balnéaire sortie de terre il y a 53 ans.

Yazmin Teran se souvient de son arrivée il y a 15 ans, en provenance de Oaxaca, et la perspective d'un emploi "mieux payé" pour son mari dans le secteur touristique.

"Tu vois à la télé les plages, les endroits touristiques, la zone hôtelière, et tu te dis: ouhaou!, mais tu arrives ici à Cancun et tu te rends compte que tout n'est pas comme ça", raconte cette maîtresse d'école de 41 ans.

"Nous vivons ici, et comme nous travaillons, nous n'avons pratiquement pas le temps d'aller à la mer pour en profiter", ajoute Yazmin, qui va à la plage "environ cinq fois par an".

"Aller à la plage engendre des frais", poursuit cette figure de quartier, où elle organise des activités en soutien aux enfants ou aux personnes âgées. "Il faut acheter là-bas ou emporter quelque chose à manger".

En faisant un calcul rapide, elle estime qu'une famille a besoin d'environ 500 pesos (30 dollars) pour passer un jour à la plage dans la zone hôtelière.

Une somme importante rapportée aux revenus moyens du Quintana Roo (l'Etat où se trouve Cancun), soit 8.000 pesos mensuels (473 dollars), d'après le portail spécialisé Talent.com.

A la haute saison, une seule nuit dans un hôtel cinq étoiles de Cancun peut coûter jusqu'à 2.000 dollars.

A la périphérie de Cancun, les travailleurs des Etats pauvre du sud (Oaxaca, Chiapas, Tabasco) ont été attirés par les maisons à des prix abordables, et les emplois dans la construction ou les services liés au tourisme. Pareil pour des migrants du Guatemala et de Cuba.

Aux antipodes des images de carte postale de Cancun, le délabrement du mobilier urbain saute aux yeux à Villas Otoch, qui étouffe sous une chaleur suffocante.

La violence familiale et la drogue font partie du décor. D'après les autorités et des médias locaux, la violence a fait un bond depuis 2018 en raison de la hausse du trafic d'armes et de la rivalité entre les deux cartels les plus redoutables du Mexique, Jalisco Nueva Generación et Sinaloa.

- "Ultime frontière" -

Quand les parents partent travailler, beaucoup d'enfants restent seuls à la maison, ou à jouer dans les rues. Environ 40% d'entre eux ne vont pas à l'école, d'après Sofía Ochoa, animatrice culturelle qui travaille dans le quartier depuis 2022.

Livrés à eux-mêmes, les enfants peuvent être victimes des bandes locales, de fusillades et d'abus sexuels.

"Beaucoup (d'enfants) ne connaissent pas la plage, et l'avenue toute proche López Portillo, qui relie le reste de la ville, représente pour eux une frontière ultime", ajoute Sofia Ochoa.

Sofia Ochoa et des voisines comme Yazmin s'organisent pour sauvegarder des espaces publics de Villas Otoch, comme des parcs abandonnés, à la merci de la délinquance.

Rosalina Gómez, 36 ans, qui a fui la misère dans le Chiapas et un père violent, travaille comme femme de ménage à l'aéroport de Cancun, son unique point de contact avec les touristes.

"Parfois les touristes te donnent des pourboires, t'offrent des habits ou des boissons fraîches, ou te remercient parce que les toilettes sont propres. C'est ce qui me plaît le plus", dit-elle.

Mère de Perla del Mar, une fille de 15 ans avec une paralysie cérébrale, elle est allée à la plage pour la dernière fois il y a plus de quatre ans. "Je ne suis pas à l'aise à l'idée d'aller me divertir en sachant que ma fille est prostrée dans un lit", signale-t-elle.

Elle espère que son autre fils, Ricardo, 17 ans, trouve un emploi dans le tourisme. "Une fois qu'il termine ses études, eh bien j'arrête de travailler et je m'occupe de ma fille. Si Dieu nous aide".

Selon les statistiques officielles, rien qu'en 2023, 32,7 millions de passagers sont arrivés à l'aéroport de Cancun, dont 63% d'étrangers.

D.Sánchez--ESF