L'intérim fléchit, signal d'alarme pour l'emploi ?
"L'entreprise va malheureusement définitivement fermer ses portes": depuis six trimestres, l'emploi intérimaire diminue, laissant nombre d'employés sur "le carreau". Une baisse qui pourrait avoir un impact sur le niveau général de l'emploi, même si ce n'est pas encore le cas.
"Personne n'est autorisé à se rendre sur le site (...). Je vous invite à postuler au sein d'autres sociétés": le 17 mai au matin, Nadim Zaidi, 42 ans, reçoit comme l'ensemble de ses collègues intérimaires un SMS par lequel un terme est mis à sa mission d'opérateur industriel chez le sous-traitant automobile MA France, où il travaillait depuis sept ans.
"Aucune reprise ne sera envisagée, l'entreprise va malheureusement définitivement fermer ses portes", poursuivait ce message de sa société d'intérim.
Chez MA France, équipementier du groupe Stellantis et dernière grande usine automobile de Seine-Saint-Denis, à Aulnay-sous-Bois, ce sont "120 intérimaires qui se retrouvent sur le carreau", déplore auprès de l'AFP Laëtitia Gomez, responsable de l'intérim à la CGT.
Un scénario que la syndicaliste a déjà vu ailleurs en France, comme "à Flins (Yvelines), avec Renault qui démonte son entreprise où 1.600 intérimaires étaient employés et au total, on estime à 7.000 le nombre d'intérimaires en péril".
L'intérim se trouve frappé depuis 18 mois par une baisse constante. Dans sa dernière note, publiée la semaine dernière, l'Insee relève que l'emploi intérimaire diminue nettement de 2,2% au deuxième trimestre, soit 16.200 emplois supprimés, après 3.900 au trimestre précédent (-0,5%).
La baisse atteint 6,4% sur un an, soit 50.400 emplois en moins, et touche l'ensemble des grands secteurs, selon la Dares, l'institut de recherche du ministère du Travail: l'industrie (-3,1% au deuxième trimestre), la construction (-3%), le tertiaire (-1,2%).
"Il y a énormément de plans de licenciement sur la table. Du coup, l'intérim chute, ce qui ne présage pas forcément d'un marché du travail en bonne santé", affirme Laëtitia Gomez.
- "plus aussi net" -
Traditionnellement, "l'intérim est un indicateur avancé du marché du travail, car c'est une variable d'ajustement plus rapide que les autres types de contrats", rappelle Mathieu Plane, directeur adjoint du département analyse et prévision de l'OFCE.
Ainsi, "quand l'activité va bien, dans un premier temps on n'a plus de recours à l'intérim" et "inversement, quand l'activité ralentit, quand il y a des risques de récession ou des carnets de commande qui se vident, la variable d'ajustement c'est plutôt aussi l'intérim", poursuit-il.
Mais ce lien est peut-être un peu moins pertinent actuellement: "Ce n'est plus aussi net", estime ainsi Vladimir Passeron, chef du département de l'emploi et des revenus d'activité à l'Insee, qui prend l'exemple de l'industrie, marquée par "un net recul depuis un an de l'intérim, alors que l'emploi industriel continue d'augmenter".
Si on veut être "optimiste", ajoute-t-il, on peut se dire "qu'avec les fortes difficultés de recrutement et la nécessité de retenir les effectifs, il y a un certain nombre d'entreprises qui ont fait le pari d'embaucher plutôt directement".
Dans la période actuelle, "les entreprises n'ont pas forcément envie de se séparer de leurs salariés", estime Philippe Waechter, économiste chez Ostrum Asset Management. "L'idée, c'est qu'à un moment donné, ça va repartir, donc il faut qu'on conserve les emplois".
Mathieu Plane est plus dubitatif pour l'avenir: "Les difficultés de recrutement ont baissé et on voit que l'emploi global diminue, y compris au deuxième trimestre", où l'Insee a mesuré une légère baisse de 0,1%, soit 28.500 emplois, dans le secteur privé.
"La baisse de l'intérim aujourd'hui est quand même le signe annonciateur d'un marché du travail qui se détériore", pense-t-il, citant "la restauration et le commerce (où) on a une remontée des faillites qui est importante" et "des pertes d'emplois".
C.Aguilar--ESF