Au Nigeria, la mégapole de Lagos veut développer ses voies navigables
Trente minutes de trajet au lieu des habituelles trois heures passées dans les embouteillages : le quotidien d'Ivy Junaid, salariée dans les télécommunications, est transformé depuis qu'elle sillonne la lagune de Lagos en bateau pour se rendre à son travail.
Pour la jeune femme, plus besoin de se lever avant l'aube en espérant éviter le trafic automobile qui congestionne la mégapole aux 20 millions d'habitants.
Elle peut enfin "prendre son petit-déjeuner à la maison" avant de grimper dans un bateau qui lui permettra de rallier en un rien de temps le quartier des affaires de la capitale économique du pays le plus peuplé d'Afrique.
Entre sa lagune et son littoral sur l'Atlantique, Lagos utilise depuis longtemps ses voies navigables comme alternative aux routes encombrées. Mais dernièrement, les projets pour développer le transport fluvial s'accélèrent.
Grâce à un investissement d'environ 410 millions d'euros de l'Agence française de développement (AFD) et d'institutions européennes, le programme - connu sous le nom d'"Omi Eko" (Lagos Water) en langue yoruba - vise à développer 15 lignes de ferry avec plus de 75 bateaux électriques de différentes capacités en nombre de passagers, ainsi qu'à moderniser le système de jetées.
L'objectif est aussi de réduire les émissions de carbone grâce à cette flotte de ferries fonctionnant à l'électricité.
Pour pallier la fragilité du réseau électrique de la ville, des infrastructures solaires et des générateurs au gaz naturel comprimé seront utilisés pour recharger les navires aux embarcadères.
- "Désengorger le trafic" -
Alors que la plupart des habitants de Lagos vivent dans la partie continentale de la ville, beaucoup de bureaux et de lieux de travail se trouvent dans la zone des îles (Victoria Island, Ikoyi, Lagos Island et Lekki), reliées par une série de ponts.
Mauvais état général des routes, inondations pendant la saison des pluies, flottes chaotiques de minibus localement appelés "Danfo", accidents réguliers... les kilomètres d'embouteillages s'accumulent immanquablement dans Lagos, qui devrait devenir la ville la plus peuplée du monde d'ici à la fin du siècle, selon les projections.
Le gouvernement de l'Etat de Lagos a déjà lancé plusieurs projets pour améliorer l'offre de transports publics, comme la mise en place d'un réseau de lignes de train inter-urbain - dont seulement une est en circulation après plusieurs années de retard - ou la mise en place de voies réservées aux bus.
"Nous nous sommes dits que les voies navigables étaient potentiellement le joyau de la couronne qui nous permettrait de désengorger le trafic automobile", explique à l'AFP Oluwadamilola Emmanuel, directeur général de l'Autorité des voies navigables de l'État de Lagos.
Il espère que le projet fera passer la part des bateaux d'environ 2% du total des voyageurs à environ 10%.
"Nous transporterons environ 10 millions de personnes par mois", table-t-il.
- "Tellement peur" -
Les transports et leur coût sont un problème majeur pour les habitants de Lagos.
Le Nigeria est actuellement confronté à sa pire crise économique depuis des décennies, avec une inflation de plus de 30% et un prix du carburant ayant plus que triplé depuis un an et demi.
Le pouvoir d'achat des habitants a chuté dans ce pays où la moitié de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté et où le salaire mensuel minimum vient d'être porté à 70.000 nairas (46 dollars) contre 30.000 jusqu'à présent.
Les Nigérians se sont adaptés. Certains conduisent moins et utilisent les transports publics, d'autres travaillent davantage à domicile. Pour les bateliers de Lagos, cela signifie souvent ne faire qu'un seul aller simple par jour.
Selon Samuel Odewumi, professeur à l'Université d'État de Lagos, il n'y a "que des avantages" à développer le transport fluvial, mais les autorités devront veiller à sa durabilité.
D'autres problèmes tels que le dragage de la lagune, la qualité des embarcadères et des bateaux ainsi que la sécurité nautique "devront être résolus si l'on veut que l'expansion fonctionne", ajoute-t-il.
Pour Adeyemi Jagbojagbo, chauffeur, qui a pris le bateau pour la première fois, l'arrivée au terminal de ferry de Falomo a été un soulagement. Il a eu "tellement peur" sur l'eau qu'il n'est pas sûr de vouloir recommencer.
E.Campana--ESF