Tempête sur le bitcoin : les Salvadoriens font le gros dos
La valeur en dollars du bitcoin a fondu de près de la moitié depuis qu'il a acquis au Salvador en septembre 2021, au même titre que le dollar, le statut de monnaie légale : les Salvadoriens se sont habitués à faire le gros dos sous la tempête.
La loi oblige toujours les commerçants à accepter le bitcoin comme monnaie de paiement, mais désormais la cryptomonnaie leur brûle les doigts et la plupart se précipitent pour la changer en billets verts, comme José Fredy Landaverde, qui tient un magasin de vêtements dans la capitale.
La fonction de change immédiat en dollars existe sur le "porte-monnaie" virtuel, baptisé Chivo, créé par le gouvernement du président Nayib Bukele pour permettre les opérations en cryptomonnaie : les commerçants doivent accepter les paiements en bitcoin, mais ils peuvent s'en débarrasser aussitôt.
"Qaund le client nous paie en bitcoin nous convertissons immédiatement en dollars", explique à l'AFP le marchand de vêtements, âgé de 44 ans. Si le bitcoin remonte, il fera le contraire, assure-t-il.
En septembre 2021, lorsque le Salvador a été le premier pays au monde à adopter le bitcoin, la cryptomonnaie titrait environ 44.000 dollars, avant de s'envoler vers un plus haut historique à 66.000 dollars deux mois plus tard. Depuis le record, la chute est de 57%.
- Euphorie -
Dans l'euphorie de la hausse le président Bukele avait fait construire un hôpital vétérinaire public et avait annoncé à grand fracas un projet de Bitcoin City près du volcan Conchagua qui lui fournirait une énergie renouvelable et inépuisable.
La dégringolade de la cryptomonnaie tombe mal: la négociation avec le FMI d'un prêt de 1,3 milliard de dollars s'enlise pour le Salvador, dont la dette publique est d'environ 90% du PIB.
Début mai, l'agence de notation Moody's a dégradé la note de la dette salvadorienne.
Dans le centre de la capitale San Salvador, des commerces ont retiré les panneaux qui proclamaient "bitcoin accepté" et les employés confirment la chute des transactions en cryptomonnaie. Juan Carlos Canales, un autre vendeur de vêtements va jusqu'à dire qu'il a renoncé au bitcoin car "peu de clients" l'utilisent.
"Ce n'est pas courant que les gens s'en servent. Mais nous avons l'option prête pour ceux qui le veulent", confie de son côté Jonathan Valdez, serveur dans un café de la capitale.
Le marché des cryptomonnaies est en "pleines turbulences", explique à Panama Maximiliano Hinz, un Argentin qui dirige la plateforme de monnaies virtuelles Binance.
Mais "normalement, quand il y a une correction à la baisse, après il y a un rebond : lorsque le bitcoin a touché les 28.000 dollars, il y a eu un pic historique d'achats" de la cryptomonnaie, souligne-t-il.
- Réserves en cryptomonnaie -
C'est ainsi que, le 10 mai, le président Bukele a annoncé profiter de la chute du bitcoin pour en acheter 500 qui sont allés grossir les réserves en cryptomonnaie du pays, désormais à 2.301 bitcoins valant actuellement chacun environ 30.000 dollars.
José Fredy Landaverde, qui dit être passé d'une moyenne d'une dizaine de ventes en bitcoin à seulement quatre par jour, est confiant dans un retour en grâce de la cryptomonnaie auprès des consommateurs, dans un pays où seulement 23% de la population dispose d'un compte bancaire.
L'ancien président de la Banque Centrale Carlos Acevedo est plus pessimiste et, pour lui, la perspective d'une émission de dette en cryptomonnaie s'éloigne, même si la chute du bitcoin n'est pas tant le problème du Salvador que "la faible croissance et l'insécurité".
En outre, "la dégringolade" du bitcoin se produit alors que son usage n'est pas massive dans le pays, ce qui est "un avantage", souligne l'ancient président de la Banque centrale.
Depuis 2001, la croissance annuelle de l'économie du Salvador est de 2 à 3%. Après une croissance record post-pandémie de 10,3% l'année dernière selon le FMI, celle-ci devrait retomber cette année à 3,2%, prévoit la Banque Centrale.
Pourtant le pays "ne va pas tomber en défaut de paiement", assure Carlos Acevedo. Le président Bukele pourrait "baisser les réserves de liquidités du système financier pour que les banques puissent acheter davantage de dette publique" ou encore "nationaliser" les fonds de pension, avance-t-il entre autres expédients possibles.
L.Balcazar--ESF