Dans les ports américains, le déluge d'importations ne ralentit pas
Avec sa horde de semi-remorques qui circulent entre les containers entreposés, le port de Newark-Elizabeth, sur la côte est des Etats-Unis, semble pris d'une agitation fiévreuse, malgré le ralentissement économique.
Les volumes de marchandises ayant transité au premier semestre dans les ports situés près de New York et dans le nord du New Jersey étaient 11,4% supérieurs à la même période en 2021, déjà à un record.
"Les volumes continuent d'être extrêmement élevés", affirme Michael Bozza, directeur adjoint du développement commercial dans le Port de New York et du New Jersey, l'organisation chapeautant les terminaux maritimes de la zone.
L'activité va probablement se modérer au second semestre, en partie à cause de l'inflation, prédit-il.
Mais en attendant, les entrepôts, le réseau de fret ferroviaire et plusieurs points clés de la chaîne d'approvisionnement restent "sous pression".
Un indicateur pourrait montrer jeudi que les Etats-Unis sont théoriquement en récession.
Mais l'activité dans les ports du pays ne baisse pas.
"Observons-nous une économie qui s'arrête brutalement? non", affirme Phil Levy, économiste pour l'entreprise de logistique Flexport. "Les importations continuent, la consommation continue".
Les grands ports américains, sur la côte atlantique comme pacifique, n'ont plus à gérer des files de bateaux attendant de pouvoir décharger leurs containers aussi longues qu'à l'automne dernier.
La crainte d'un Noël gâché par des cadeaux n'arrivant pas à temps aux Etats-Unis ne s'était finalement pas concrétisée: les magasins ont pris des mesures extraordinaires, y compris en affrétant des avions ou leurs propres bateaux, pour s'assurer que leurs rayons soient pleins.
Mais malgré l'inflation et le ralentissement économique, les consommateurs continuent d'acheter des biens et les importations affluent toujours massivement.
De nouveaux problèmes surgissent parfois rapidement, comme la semaine dernière lorsque les protestations de camionneurs contre une nouvelle loi californienne ont interrompu les livraisons au port d'Oakland, près de San Francisco.
Le port a depuis repris son fonctionnement normal, mais l'incident met en avant la fragilité d'infrastructures surchargées depuis le début de la pandémie.
- Retards sur les rails -
"Il n'y a pas beaucoup de marge de manœuvre dans le système quand quelque chose ne va pas", remarque Sal Mercogliano, historien maritime à l'Université Campbell en Caroline du Nord.
Gene Seroka, directeur du Port de Los Angeles, a ainsi récemment pointé du doigt l'accumulation de retards dans le fret ferroviaire à l'origine de plus de 20.000 containers bloqués dans son port. Il y faut trois fois plus de temps qu'habituellement pour transposer les marchandises sur les rails.
"Nous devons agir immédiatement pour éviter un blocage national", a-t-il déclaré le 13 juillet lors d'un point presse.
Mais le problème vient en grande partie des réductions massives de personnel effectuées par les compagnies ferroviaires comme CSX et Union Pacific avant la pandémie.
Il y a actuellement 40.000 postes de moins dans le secteur qu'en 2016, rappelle Jason Miller, spécialiste de la chaîne d'approvisionnement à l'université d'Etat du Michigan.
Autre source d'inquiétude: les négociations encore en cours entre les syndicats et les directions des entreprises du rail.
Les deux parties ne sont pas encore parvenues à se mettre d'accord sur les salaires, l'assurance-santé ou les conditions de travail.
Le président américain Joe Biden a dû intervenir pour repousser une éventuelle grève d'au moins 60 jours, en signant le 15 juillet un décret établissant un système de médiation.
Les dockers des ports de la côte ouest discutent aussi actuellement de leur convention collective, qui a expiré fin juin.
Les ports de la côte est des Etats-Unis et du Golfe du Mexique ont récupéré au passage quelques cargaisons, certains armateurs s'inquiétant du risque de grève à Los Angeles et Long Beach et d'une répétition du désordre ambiant de l'automne dernier.
Michael Bozza estime que 70% des volumes supplémentaires gérés par le Port de New York et du New Jersey cette année vient de la côte ouest.
Mais, assure Jason Miller, "nous sommes dans une meilleure situation qu'il y a huit ou neuf mois".
"Il y a beaucoup d'incertitude quant au pouvoir d'achat du consommateur américain pour la saison des fêtes à venir", souligne M. Miller.
Et il faut aussi prendre en compte les stricts confinements imposés récemment par la Chine face aux résurgences du Covid, qui y ont perturbé la production.
Reste que les temps d'attente dans les ports demeurent bien plus longs qu'avant la pandémie, rappelle Phil Levy.
"Nous rencontrons toujours d'importantes difficultés dans la chaîne d'approvisionnement", affirme-t-il. "Si la situation s'est un peu améliorée dernièrement dans les ports, elle a empiré au niveau du rail", selon lui.
A.Pérez--ESF