Pierre Déom, créateur de "La Hulotte", revue culte, écolo et quinquagénaire
Deux fois par an, il adresse ses croquis délicats et ses minutieux récits naturalistes à 150.000 abonnés dans le monde entier. Créateur de "La Hulotte", revue culte et discrète, Pierre Déom fête son demi-siècle d'activité.
Son lumineux atelier offre une vue imprenable sur une prairie bordée de bois touffus, paradis des biches, lièvres et autres chevreuils. C'est là, au premier étage de sa maison de Boult-aux-Bois, au cœur des Ardennes, que l'ancien instituteur de 73 ans trouve l'inspiration, devant son imposante table à dessin.
Dans La Hulotte --nom d'une chouette au plumage brun dont un spécimen nichait face à son ancienne école-- il raconte et dessine la vie des oiseaux, insectes, mammifères, batraciens, poissons, mais aussi des plantes et fleurs.
"Je parle de la nature qui nous entoure, des espèces qui vivent à côté de nous mais que nous ne remarquons plus la plupart du temps", dit cet homme timide aux cheveux poivre et sel.
Depuis la première publication, en 1972, 112 numéros ont été édités, vendus uniquement par abonnement. Porté par le seul bouche-à-oreille, le succès est stupéfiant.
- "Fils d'Hergé" -
"J'avais le projet de créer dans le département des clubs de protection de la nature. La Hulotte devait être une sorte de bulletin de liaison informant sur l'actualité de ces clubs", raconte-t-il. "Sauf que les clubs n'ont pas connu le succès que j'espérais, au contraire de la revue qui, elle, a très vite dépassé le millier d'abonnés."
Les abonnements se multiplient jusqu'à dépasser les 100.000 vers les années 1980 et se stabilisent autour des 150.000 depuis vingt ans. La Hulotte emploie aujourd'hui sept personnes.
Fils d'ouvrier agricole et aîné d'une famille de huit enfants, Pierre Déom a grandi en pleine campagne. Mais il ne s'est intéressé à la nature que sur le tard. "C’est en vivant en ville que je me suis finalement aperçu que la nature me manquait."
Une connaissance lui propose alors de l’initier au baguage, une technique destinée à suivre les déplacements de certaines espèces d'oiseaux. "Une vraie révélation", dit-il. "Je me rappelle une fois avoir pu tenir un martin-pêcheur au creux de ma main, un vrai joyau !"
A travers La Hulotte, ce "fils d’Hergé", tel qu’il se qualifie avec une sincère humilité, a peaufiné son style au fil des décennies, passant parfois jusqu'à 60 heures sur un seul dessin. Une loupe grossissante lui permet d'ajouter ici une brindille de nid, là une plume d'oiseau.
- Lu dans 70 pays -
"C'est un enfant de Buffon, Cuvier, Lamarck: le prolongement des grands naturalistes qui ont fait l'honneur de la France", salue Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue de protection des oiseaux (LPO).
"Tous les naturalistes que je croise, y compris les grands professeurs, se sont initiés par La Hulotte", jure l'ancien animateur télé, qui confesse "une admiration folle" pour Pierre Déom, dont il est proche.
C'est aussi par la précision et la richesse des informations qu’elle distille que La Hulotte a fidélisé son lectorat, gagnant sa place aussi bien dans les bibliothèques des écoles élémentaires qu'au CNRS.
Entre livres de vulgarisation et travaux scientifiques, l'auteur, aidé d'une documentaliste, compile, répertorie et vérifie un maximum de données pour offrir un récit ludique et humoristique d'une quarantaine de pages, sans publicité, cadré par la plus grande rigueur scientifique.
Il dit consacrer "entre 1.000 et 1.500 heures de travail pour chaque numéro, de la collecte et la vérification des informations à la mise en page, en passant par l'écriture et bien sûr le dessin". Avec l'objectif de tenir les délais de parution de sa revue, attendue dans 70 pays du monde.
S'il aime dénicher des anecdotes méconnues, Pierre Déom garde une règle d'or: conserver une approche pédagogique à la portée d'un enfant de dix ans, pour donner aux jeune l'"envie de découvrir à leur tour la nature".
O.L.Jiminez--ESF