Ukraine : massacre de civils à Kramatorsk, des dirigeants européens à Butcha
Au moins 50 personnes, dont cinq enfants, ont été tuées dans une frappe de missile vendredi sur la gare de Kramatorsk, dans l'est de l'Ukraine, tandis que de hauts responsables européens se sont rendus à Boutcha, ville symbole des atrocités dont est accusée la Russie.
Un "mal sans limite" selon le président ukrainien Volodymyr Zelensky, une "horrible atrocité" commise par Moscou pour le président américain Joe Biden, un "crime contre l'humanité" selon la diplomatie française : le massacre de Kramatorsk a suscité une vague de condamnations occidentales, mais Moscou a nié toute responsabilité.
"Cinquante morts, dont cinq enfants", a écrit sur la messagerie Telegram le gouverneur régional Pavlo Kyrylenko, précisant que 38 personnes étaient mortes sur place et 12 à l'hôpital, sur 98 personnes hospitalisées au total.
Le missile s'est abattu vers 10H30 (07H30 GMT), à l'heure où les candidats à l'évacuation se regroupent depuis des jours par centaines dans la gare de la ville pour fuir le Donbass, désormais objectif prioritaire de l'armée russe.
Les trottoirs étaient maculés de sang, valises abandonnées, peluches et nourriture jonchaient les quais.
Sur le parvis, les restes d'un missile étaient toujours visibles : on pouvait y lire en russe "Pour nos enfants". Une expression récurrente des séparatistes prorusses en référence à leurs enfants tués depuis la première guerre du Donbass, commencée en 2014.
Dans la gare, une femme, traumatisée, cherchait son passeport dans les affaires abandonnées. "J'ai entendu comme une double explosion, je me suis précipitée contre le mur pour me protéger. J'ai alors vu des gens en sang entrer dans la gare, des corps partout par terre, je ne sais pas s'ils étaient blessés ou morts. Les militaires se sont précipités pour nous dire d'évacuer la gare, j'ai tout laissé ici".
Le président Zelensky a dénoncé un "mal sans limite" et des méthodes "inhumaines" de la Russie.
"Sans la force et le courage de nous affronter sur le champ de bataille, ils annihilent cyniquement la population civile. C'est un mal qui n'a pas de limite. Et s'il n'est pas puni, il ne s'arrêtera jamais", a-t-il écrit sur Telegram.
Cette attaque sanglante sur la "capitale" de la partie du Donbass encore sous contrôle ukrainien est une "nouvelle horrible atrocité commise par la Russie", a réagi dans un tweet Joen Biden.
Une "attaque méprisable" selon la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, arrivée en Ukraine pour une visite de soutien, accompagnée du chef de la diplomatie de l'UE Josep Borrell.
Tous deux sont allés en fin d'après-midi à Boutcha, près de Kiev, où des dizaines de cadavres portant des vêtements de civils, certains les mains liées dans le dos, ont été découverts début avril après le départ des forces russes, suscitant une vague d'indignation.
"La Russie va sombrer dans la décomposition économique, financière et technologique, tandis que l'Ukraine marche vers un avenir européen", a déclaré Mme von der Leyen, lors d'une conférence de presse commune avec M. Zelensky à Kiev.
"Nous partageons les mêmes valeurs et c’est pour elles que nous nous battons", lui a répondu le président ukrainien.
Le chancelier autrichien, Karl Nehammer, doit se rendre également à Boutcha, samedi, ainsi qu'à Kiev.
Le chef d'Etat français Emmanuel Macron avait auparavant lui aussi dénoncé le bombardement de Kramatorsk comme "abominable", son ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian parlant même d'un "crime contre l'humanité".
Moscou avait immédiatement démenti en être responsable, affirmant ne pas disposer du type de missile qui aurait été utilisé et dénonçant une "provocation" ukrainienne.
"Les forces armées ukrainiennes ont commis le 8 avril un nouveau crime de guerre, en frappant avec un missile tactique Totchka-U", a réagi le ministère russe des Affaires étrangères, tandis que celui de la Défense a accusé Kiev d'avoir "orchestré" la frappe pour "empêcher le départ de la population de la ville afin de pouvoir l'utiliser comme bouclier humain".
- Evacuations -
Moscou dénonce régulièrement des "provocations" ukrainiennes pour se défendre des accusations d'exactions et de crimes de guerre, comme à Boutcha.
Le ministère russe de la Défense avait annoncé plus tôt vendredi que l'armée russe avait détruit avec des missiles de haute précision "des armements et d'autres équipements militaires dans les gares de Pokrovsk, Sloviansk et Barvinkove", des localités toutes situées non loin de Kramatorsk.
Après avoir retiré ses troupes de la région de Kiev et du nord de l'Ukraine, la Russie a fait de la conquête totale du Donbass, dont une partie est contrôlée depuis 2014 par des séparatistes prorusses, sa priorité.
De nombreux observateurs estiment que le président russe Vladimir Poutine veut atteindre cet objectif avant le défilé militaire du 9 mai marquant la fin de la deuxième Guerre mondiale, célébration la plus importante en Russie.
Moscou multiplie donc les attaques dans le sud et l'est de l'Ukraine, les autorités locales s'efforçant, quant à elles, de faire partir les civils.
Les évacuations en train, qui avaient été interrompues en raison de la destruction d'une partie de la voie ferrée, avaient repris dans la nuit de jeudi à vendredi, selon le gouverneur de la région de Lougansk, Serguiï Gaïdaï, qui encourageait depuis plusieurs jours ses habitants à partir pour ne pas "se condamner à la mort".
Menacée à son tour de frappes, le grand port d'Odessa, dans le sud sur la mer Noire, va connaître un couvre-feu de samedi soir à lundi matin, ont annoncé les autorités locales.
- Cercle du Kremlin -
A la suite des révélations sur les exactions en Ukraine, la Russie avait été suspendue jeudi par un vote du Conseil des droits de l'homme de l'ONU et a été la cible de nouvelles sanctions économiques occidentales, qui n'empêchent cependant pas le rouble, la monnaie russe, d'avoir retrouvé de la vigueur depuis un mois.
Vendredi, le Royaume-Uni a décidé de sanctionner les deux filles du président Poutine et celle du chef de la diplomatie Sergueï Lavrov, disant vouloir s'en prendre au "train de vie fastueux du cercle rapproché du Kremlin".
Le Premier ministre britannique Boris Johnson a pour sa part annoncé l'envoi de missiles antichars et antiaériens supplémentaires à l'Ukraine.
L'Union européenne a elle aussi adopté jeudi soir un nouveau train de mesures punitives, avec notamment un prochain arrêt des importations de charbon russe. C'est la toute première fois que les Européens frappent le secteur énergétique russe, dont ils sont très dépendants.
Bruxelles prévoit aussi de nouvelles sanctions contre des banques russes ainsi que la fermeture des ports européens aux navires russes. Parallèlement, l'UE est prête à débloquer 500 millions d'euros de plus pour financer des armes pour l'Ukraine.
Kiev réclame la fourniture "immédiate" d'armes, avant qu'il ne soit trop tard pour faire face à une nouvelle offensive russe dans l'Est.
La Slovaquie, membre de l'Alliance, a annoncé vendredi avoir "fait don" à l'Ukraine de systèmes de défense antiaérienne S-300, de conception soviétique.
En Russie, le ministère de la Justice a décidé vendredi de fermer les locaux de plusieurs ONG réputées de défense des droits humains, dont Amnesty International et Human Rights Watch.
Les répercussions indirectes du conflit se font par ailleurs toujours sentir dans le monde.
L'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture a ainsi souligné vendredi que les prix mondiaux des denrées alimentaires avaient atteint en mars leurs "plus hauts niveaux jamais enregistrés", la guerre en Ukraine bouleversant les marchés des céréales et des huiles végétales.
Une annonce qui fait craindre une crise alimentaire mondiale et de possibles troubles socio-politiques qui pourraient en découler dans certains pays.
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B.Vidal--ESF