Pakistan: Shehbaz Sharif sur le point d'être désigné Premier ministre
Shehbaz Sharif devrait être élu lundi Premier ministre du Pakistan, mais le pays n'en a sans doute pas fini avec les soubresauts politiques tant son prédécesseur Imran Khan entend mener la vie dure au nouveau gouvernement en vue des prochaines élections.
Chef de la Ligue musulmane du Pakistan (PML-N), M. Sharif, âgé de 70 ans et frère cadet de Nawaz Sharif, qui fut trois fois Premier ministre, devrait succéder à M. Khan à la tête de cette république islamique de 220 millions d'habitants dotée de l'arme nucléaire.
Ancien joueur vedette de cricket élu en 2018, M. Khan, 69 ans, a été renversé dimanche par une motion de censure, une première dans l'histoire du pays.
L'issue du vote à l'Assemblée nationale ne fait aucun doute. La coalition de circonstance formée autour de la PML-N a la majorité depuis que certains alliés de M. Khan ont décidé il y a quelques jours de la rejoindre.
Le parti de M. Khan, le Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI, Mouvement du Pakistan pour la justice), présentera comme candidat l'ex-ministre des Affaires étrangères, Shah Mehmood Qureshi.
Les députés du PTI, dont plusieurs centaines de milliers de partisans sont descendus dimanche dans les rues de Karachi, Lahore et Islamabad, pourraient choisir de démissionner collectivement et de ne pas prendre part au vote.
Le rassemblement hétérogène emmené par Shehbaz Sharif comprend notamment le Parti du peuple pakistanais (PPP) de Bilawal Bhutto Zardari, fils de l'ancienne Première ministre Benazir Bhutto, assassinée en 2007, et le petit parti religieux conservateur Jamiat Ulema-e-Islam (JUI-F) de maulana Fazlur Rehman.
- Affaires de corruption -
Il reste donc à voir comment ces deux formations longtemps rivales, qui s'étaient associées dans le seul but de faire chuter Imran Khan, parviendront à gouverner ensemble.
Shehbaz Sharif est considéré comme moins charismatique que son frère Nawaz, mais aussi moins rigide et plus susceptible de faire les compromis nécessaires pour rester au pouvoir.
Il était le leader de l'opposition le plus acceptable aux yeux de l'armée, qui reste la clé du pouvoir politique dans ce pays ayant passé plus de trois décennies sous sa direction même si elle n'est pas intervenue publiquement ces derniers jours.
Comme Nawaz, destitué en 2017 pour corruption présumée et emprisonné, puis libéré deux ans plus tard pour raisons médicales et qui vit depuis en exil au Royaume-Uni, Shehbaz Sharif a été lié à des affaires de pots-de-vin et de corruption. Il a été arrêté et emprisonné en septembre 2020, mais libéré sous caution près de six mois plus tard. Son procès est toujours en attente.
La PML-N accuse l'armée d'avoir fait tomber le gouvernement de Nawaz en faisant pression sur le système judiciaire, et Imran Khan, qui aurait été porté au pouvoir en 2018 avec le soutien des militaires, d'avoir poursuivi cette vendetta à l'encontre de Shehbaz.
- Stratégie électorale -
Le futur Premier ministre devra non seulement maintenir la cohésion de son camp, mais aussi composer avec la difficile situation économique du pays, avec une inflation élevée, une roupie en dépréciation constante et une dette qui se creuse.
La dégradation de la sécurité, avec la multiplication des attaques menées par le Tehreek-e-Taliban Pakistan (TTP), les talibans pakistanais, sera également l'une de ses principales préoccupations.
Il devra décider quelle stratégie adopter en terme de calendrier électoral en vue des prochaines législatives, qui doivent se tenir d'ici octobre 2023.
Imran Khan, qui a tout fait pour s'accrocher au pouvoir, quitte à accentuer les divisions de la société pakistanaise, devrait rester une épine dans le pied du nouveau gouvernement.
Il n'a cessé de se dire la victime d'un "changement de régime" orchestré par les Etats-Unis en raison de ses critiques à l'égard de la politique américaine en Irak ou en Afghanistan, avec la complicité de l'opposition. Il a promis de ne jamais accepter "ce gouvernement importé".
"La stabilité politique au Pakistan semble plus difficile à obtenir à partir de maintenant, avec un Khan qui ne devrait pas reconnaître le gouvernement mais mobiliser sa force dans la rue", prévoit l'analyste Mosharaf Zaidi, ajoutant qu'il reste à voir "si sa capacité d'agitation s'est accrue ou réduite ces dernières semaines".
Nombre de Pakistanais, qui avaient donné en 2018 leur voix à M. Khan pour sa dénonciation de la corruption des élites symbolisée par la PML-N et le PPP, restent sensibles à ce discours et s'inquiètent du retour en grâce de ces deux partis.
C.Abad--ESF