Salvador: la manière forte peut-elle suffire pour éradiquer les gangs ?
Le président du Salvador a engagé il y a un mois une "guerre contre les gangs" qui a conduit à l'arrestation de 18.000 membres des "maras". Mais la seule réponse policière et judiciaire peut-elle suffire pour endiguer violence et racket dans ce pays pauvre d'Amérique centrale ?
Dans les faits, les crimes et extorsions ont drastiquement chuté au Salvador depuis l'état d'urgence voté fin mars permettant arrestations et placements en détention sans mandat. Proposé par le président Nayib Bukele en réaction au meurtre de 87 personnes en deux jours, il a été prolongé d'un mois dimanche par le Parlement contrôlé par le parti au pouvoir.
Dans le viseur du jeune président de 40 ans, qui a dans ce combat le soutien de 91% de la population selon un récent sondage: les puissants gangs de la Mara Salvatrucha (MS-13) et du Barrio 18, dont les membres sont aisément identifiables aux tatouages qui recouvrent leurs corps.
Début avril, M. Bukele estimait que "guérir" le pays de 6,5 millions d'habitants de ce fléau, "c'est comme guérir un corps atteint d'un cancer avec métastase" car les gangs forment "un tissu social difficile à briser" car ils impliquent des familles entières.
Déterminé, il a lancé que l'appartenance à un gang "n'a que deux issues: la prison ou la mort" et a annoncé la construction de nouveaux centres de détention.
Au quotidien, le changement est palpable.
"Sur certaines lignes, les criminels ne viennent plus racketter", assure à l'AFP Juan Pablo Alvarez qui dirige une entreprise de transport.
Il témoigne du coût humain "très élevé" d'avoir à "traiter" avec les gangs: "j'ai dû enterrer mon frère, plus de 10 cadres et 25 employés, principalement des chauffeurs", dit-il.
Dans une rue du centre de San Salvador où même les vendeurs de légumes devaient rétribuer les racketteurs, Felipe, un commerçant qui préfère taire son nom, assure ne "plus rien payer". Les gangs "ont pratiquement disparu et le commerce tourne, les gens n'ont plus peur de venir dans le centre-ville", se réjouit-il.
- Réintégration -
L'extorsion et le trafic de drogue constituent les principaux revenus des "maras", structures "multi-crimes" qui "fondent toutes leurs actions sur la culture de la mort", selon le ministre de la Justice et de la Sécurité, Gustavo Villatoro.
Leurs effectifs sont estimés à 70.000 membres, dont plus de 34.000 sont désormais incarcérés en comptant les récentes arrestations.
Pour l'universitaire Carlos Carcach, le gouvernement parvient à "neutraliser un grand nombre de criminels actifs, et des signes montrent qu'il est possible de neutraliser totalement ces structures". Mais c'est une lutte "à long terme" dans laquelle il faut décourager les jeunes de rejoindre ces gangs, rappelle-t-il.
Dans un pays comptant 30% de pauvres et où de nombreux habitants sans emploi tentent de migrer vers les Etats-Unis, il s'agit aussi "de changer les raisons" qui poussent les jeunes à rejoindre les "maras", estime José Miguel Cruz, spécialiste du phénomène des gangs à l'Université internationale de Floride.
Selon lui, le pays doit passer par "un processus sérieux de désarmement, de démobilisation et de réintégration".
Le cardinal de San Salvador, Gregorio Rosa Chavez, pointe également "l'absence totale d'opportunités de réhabilitation pour quelqu'un qui a fait une erreur".
- "Populisme pénal" -
Les membres de gangs arrêtés ne passent pas par le système judiciaire ordinaire mais par des juges dits "sans visage" pour éviter d'être reconnus.
Pour le juge Juan Antonio Duran, le Salvador est tombé dans le "populisme pénal", avec des procès sans témoins, parfois même sans l'accusé, menés par ces juges anonymes qui devraient être selon lui "interdits par la Constitution."
"Ils ne condamnent pas seulement des coupables (...) mais aussi beaucoup d'innocents", assure-t-il.
Veronica Aguirre, 26 ans, attend devant l'entrée du commissariat de la capitale où sont emmenés les suspects. Elle affirme que son mari y est détenu sans preuve.
Des arguments balayés par le procureur général, Rodolfo Delgado qui affirme que "la population honnête n'a rien à craindre" car les antécédents des détenus sont scrupuleusement vérifiés.
Amnesty International a dénoncé lundi "des réformes juridiques qui violent les normes internationales, des arrestations arbitraires massives et des mauvais traitements infligés aux détenus".
P.Avalos--ESF