Venezuela: l'opposition mobilise face à la répression, au moins 12 morts
Des milliers de partisans de l'opposition sont descendus dans les rues mardi au Venezuela pour revendiquer la victoire à la présidentielle de leur candidat, qui a interpellé l'armée et le pouvoir de Nicolas Maduro après la mort de douze personnes et des arrestations massives.
Depuis le scrutin de dimanche, un bras de fer est engagé entre le régime chaviste, au pouvoir depuis 25 ans, et une opposition dénonçant une "fraude massive" et exigeant un dépouillement transparent, devant une communauté internationale de plus en plus alarmée.
Washington a ainsi jugé mardi "inacceptable" la répression et le Haut-commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, Volker Türk, s'est dit "extrêmement inquiet".
Le chef de la diplomatie de l'Union européenne, Josep Borrell, a quant à lui estimé "les forces de l'ordre doivent garantir le plein respect des droits de l'Homme, en particulier le droit de manifester et la liberté de réunion".
Aux cris de "Liberté, liberté!", des sympathisants du candidat Edmundo Gonzalez Urrutia et de la cheffe de l'opposition Maria Corina Machado se sont rassemblés à Caracas et dans d'autres villes du pays pour contester la réélection annoncée du président Nicolas Maduro pour un troisième mandat.
"Nous devons rester dans les rues, nous ne pouvons pas nous laisser voler nos voix aussi effrontément", a dit à l'AFP Carley Patino, une administratrice de 47 ans.
Le candidat Edmundo Gonzalez Urrutia, un diplomate discret de 74 ans qui a remplacé comme candidat Maria Corina Machado déclarée inéligible par le pouvoir, a interpellé directement les forces armées.
"Il n'y a aucune raison de réprimer le peuple du Venezuela, il n'y a aucune raison de persécuter autant", a-t-il lancé devant ses sympathisants dans la capitale.
En réponse, Nicolas Maduro a accusé l'opposition d'être "responsable de la violence criminelle", "des blessés, des morts, de la destruction", lors d'une réunion de crise regroupant les plus hautes instances dirigeantes.
Les partisans du régime se sont élancés dans l'après-midi pour une grande marche de soutien à Caracas.
- "Terrorisme" -
La tension ne cesse de monter. Depuis lundi, le bilan des manifestations est d'au moins 11 morts civils, dont cinq à Caracas, selon quatre ONG de défense des droits de l'Homme.
Alfredo Romero, responsable de l'ONG Forum pénal, s'est dit face à la presse inquiet de "l'usage d'armes à feu".
Le ministère de la Défense a évoqué 23 militaires blessés.
Le procureur général Tarek William Saab a lui fait état d'une 12e victime, un militaire tué par balle. Il a souligné que "749 délinquants" avaient été arrêtés dans le cadre des manifestations, certains pour "terrorisme".
Dans ce contexte, l'opposition dénonce une "escalade de la répression" et a annoncé mardi matin l'arrestation à Caracas par les forces de l'ordre d'un important cadre du parti Voluntad Popular (VP), Freddy Superlano.
Pilier du régime sous le président socialiste Hugo Chavez de 1999 jusqu'à sa mort en 2013, comme sous son dauphin Nicolas Maduro, l'appareil sécuritaire tient entre ses mains une bonne part du destin de ce pays, riche de son pétrole mais exsangue après une crise sans précédent.
Le ministre de la Défense, le général Vladimir Padrino, a "réaffirmé" mardi la "loyauté absolue" des forces armées au président Maduro.
- "Manipulation aberrante" -
Nicolas Maduro, 61 ans, a été officiellement proclamé lundi président, après l'annonce de résultats par le Conseil national électoral (CNE).
Sans fournir le détail des résultats, le CNE a affirmé que M. Maduro a obtenu 5,15 millions de voix (51,2%) devant Edmundo Gonzalez Urrutia, 4,5 millions de voix (44,2%).
Mais l'opposante Maria Corina Machado assure que l'opposition a les moyens de "prouver" la victoire de son candidat et que ces "preuves de la victoire" ont été fournies à "des dirigeants".
Selon elle, Edmundo Gonzalez Urrutia a obtenu 6,27 millions de voix (73%), contre 2,7 millions pour M. Maduro.
Ce dernier peut se féliciter du soutien de la Chine et de la Russie, qui a appelé l'opposition à "accepter sa défaite", ainsi que de ses alliés traditionnels (Cuba, Nicaragua, Honduras et Bolivie).
Mais il apparaît de plus en plus isolé avec l'afflux de réactions internationales critiques.
L'Organisation des Etats américains (OEA) a dénoncé mardi "une manipulation aberrante" lors du scrutin.
Neuf pays d'Amérique latine (Argentine, Costa Rica, Equateur, Guatemala, Panama, Paraguay, Pérou, République dominicaine, Uruguay) ont appelé dans une déclaration commune à un "réexamen complet avec la présence d'observateurs électoraux indépendants".
Le Brésil et la Colombie, deux pays présidés par la gauche, ont demandé une vérification du dépouillement alors que les États-Unis ont affirmé "craindre que le résultat annoncé ne reflète pas la volonté ou le vote du peuple vénézuélien".
Le président mexicain Andrés Manuel Lopez Obrador, lui aussi de gauche, a appelé à "ne pas se mêler" des affaires du Venezuela, tout en demandant de "réviser les procès-verbaux du vote".
Caracas a réagi en retirant son personnel diplomatique de sept pays d'Amérique latine (Argentine, Chili, Costa Rica, Panama, Pérou, République dominicaine et Uruguay) et en annonçant suspendre à partir de mercredi les vols avec le Panama et la République dominicaine.
Le gouvernement argentin a dénoncé du "harcèlement" contre son personnel diplomatique à Caracas.
M.E. De La Fuente--ESF