Venezuela: peur, pleurs et résilience à Petaré avant le rassemblement anti-Maduro de samedi
"Les gens vont se retrouver face à des loups féroces", dit Katiusca Camargo, figure locale de Petaré, un vaste bidonville dans l'est de Caracas, redoutant une violente répression à la veille du grand rassemblement auquel appelle l'opposition pour dénoncer la réélection du président vénézuélien Nicolas Maduro.
Douze personnes , 11 civils et un militaire, ont déjà perdu la vie au Venezuela, du fait de la répression des manifestations spontanées contre cette réélection, notamment à Caracas, où nombre de contestataires venaient de cet immense quartier de 650.000 habitants, à l'inextricable enchevêtrement de petits maisons en briques ou bois, accrochées à flanc de collines.
Figure locale du secteur San-Blas de Petaré, membre d'ONG et opposante notoire à Maduro, Katiusca Camargo estime que le pouvoir veut dissuader la population de descendre dans la rue, avant le grand rassemblement samedi auquel a appelé la cheffe de l'opposition Maria Corina Machado.
"On a des morts, des blessés, des détenus, des disparus... Les gens le savent. Ils ont peur. Ils savent qu'ils vont se retrouver face à des gens armés (...) des loups féroces", dit-elle. Sur son avant-bras droit, elle a fait tatouer "Résilience".
Mme Camargo fait référence aux "colectivos", des paramilitaires pro-pouvoir qui soutiennent le président, héritier du dirigeant socialiste et bolivarien Hugo Chavez, et agissent en petits commandos, sans prendre d'ordres officiels. Avec une stratégie visant à semer la terreur.
- Peur sur la ville -
Des colectivos se sont installés dans le marché Gloria al Pueblo Bravo (Gloire au vaillant peuple) de Petaré, racontent plusieurs témoins. Mardi, au retour des manifestations auxquelles avaient appelé Mme Machado et le candidat Edmundo Gonzalez Urrutia, ils attendaient les sympathisants de l'opposition.
"Ils ont attaqué ceux qui portaient des maillots blancs ou du Venezuela, ils ont volé des motos et enlevé quelques personnes", qui ont ensuite été remises à la police, raconte Josumary Gomez, 32 ans. "Tu te dis: +Si je sors, je ne reviens plus+" dit-elle à propos des prochaines manifestations.
Mais les colectivos ont aussi mené des incursions nocturnes dans Petaré, attaquant des passants ou volant des motos.
Ils ont ensuite généré une "cyber terreur", explique Katiusca. "Vous ne pouvez pas imaginer le nombre de messages et vidéos qu'on a reçus, disant: +Ils sont ici ou là+, +Ils entrent dans une maison ici+. Ils étaient partout mais en fait, il n'y avait rien. Ils sont bien allés à quelques endroits mais ils ne pouvaient pas être dans les 2.000 secteurs de Petaré à la fois. C'est du psycho-terrorisme", analyse Katiusca.
Sous couvert de l'anonymat, un habitant du sous-quartier José Félix Ribas, réputé être l'un des plus dangereux, raconte: "Ils (les colectivos) ont mis la pression la nuit. Des gars bizarres avec des capuches. Pas des bandits d'ici, ceux d'ici je les connais, c'étaient les colectivos. Ils intimidaient les gens, leur faisaient peur, frappaient, volaient des motos. J'ai entendu des coups de feu. Beaucoup".
Les colectivos ont atteint leur objectif: la peur règne désormais sur la ville, dans Petaré.
Le même habitant avoue: "Je ne sortirai pas pour manifester. J'ai une mauvaise expérience par le passé. J'ai vu des gens mourir. C'est une guerre, une guerre civile".
- "On va tuer untel" -
Des manifestations en 2017 notamment, ont fait une centaine de morts, déclenchant une enquête de la Cour pénale internationale (CPI).
"J'ai participé à ces manifestations mais quand j'ai vu qu'il n'y avait pas de solution, qu'il y avait beaucoup de morts, j'ai décidé de quitter le pays", explique Miguel Becerra, photographe de 35 ans, qui comme 7 millions de Vénézuéliens a émigré - lui, vers l’Équateur. "Je suis revenu (en 2020) parce que j'avais l'espoir qu'il y aurait un changement".
Un espoir vite déçu... Il pense déjà à émigrer à nouveau et ne sort plus depuis lundi et les violences: "Je ne travaille plus parce que la peur de sortir est grande. La peur de sortir et soudain de tomber sur un groupe de colectivos, d'être kidnappé, d'être tué, de disparaître..."
Un commerçant lui aussi apeuré, refuse de "parler: Si tu dis une chose, un camp vient, si tu en dis une autre, c'est l'autre camp qui vient. Il y a toujours des représailles. Le mieux ? C'est de garder la bouche fermée", assure-t-il, mimant une fermeture éclair sur sa bouche.
Après trois jours de fermeture des commerces, la vie reprend tout juste jeudi dans Petaré, encore considéré il y a une dizaine d'années comme le "quartier le plus dangereux du monde".
"Avant, ici c'était le feu. On te disait +bouge de là, on va tuer untel+. On te tuait pour une casquette ou une paire de chaussures. C'était pire que le Pakistan, avec des armes automatiques et les gamins qui reconnaissaient les différentes armes à l'oreille", explique Alexander Camargo, 50 ans, soulignant que cette époque n'est pas si lointaine.
Il plaisante avec des amis, dont l'une assure ne pas vouloir aller en prison pour ses idées politiques: "la cuisine n'y est pas bonne".
Alors que la nuit tombe sur Pétaré, Katiusca et des amies ont organisé une prière à un carrefour et fait venir un pasteur.
Jhoana Padilla, 40 ans, pleure en priant "pour demander au Seigneur de répandre ses bénédictions sur cette nation, ce peuple et Petaré. Et que le vote soit respecté. J'ai voté pour mes enfants, pour un avenir meilleur. Pour notre vie quotidienne".
Encore émue, elle affirme: "Ce sont des temps très difficiles. Je sais qu'il y a la peur, mais il y a des moments où cette peur vous donne de la force pour aller de l'avant".
J.Suarez--ESF