Bangladesh : le prix Nobel Muhammad Yunus se dit prêt à gouverner après la fuite de la Première ministre
Le prix Nobel de la paix Muhammad Yunus s'est dit mardi prêt à prendre la tête d'un gouvernement intérimaire au Bangladesh après la dissolution du Parlement, de quoi satisfaire les demandes des étudiants à l'origine du mouvement qui a fait fuir la Première ministre Sheikh Hasina à l'issue d'une répression sanglante.
"Je suis touché de la confiance des protestataires qui me souhaitent à la tête du gouvernement intérimaire", a souligné Muhammad Yunus. "J'ai toujours mis la politique à distance (...) Mais aujourd'hui, s'il faut agir au Bangladesh, pour mon pays, et pour le courage de mon peuple alors je le ferai", s'engage-t-il dans une déclaration écrite à l'AFP, tout en appelant à l'organisation d'"élections libres".
Cet économiste de 84 ans est connu pour avoir sorti des millions de personnes de la pauvreté grâce à sa banque de microfinance, pionnière en la matière, mais il s'était attiré l'inimitié persistante de Mme Hasina, qui l'avait accusé de "sucer le sang" des pauvres.
Auparavant, un porte-parole de la présidence, Shiplu Zaman, avait annoncé, dans un communiqué, que le président avait "dissous le Parlement".
Les étudiants protestataires appelaient à la dissolution du parlement, tout comme le principal parti d'opposition, le Bangladesh Nationalist Party (BNP), qui exigent des élections d'ici trois mois.
"Nous faisons confiance au Dr Yunus", a écrit sur Facebook Asif Mahmud, un des principaux dirigeants du collectif Students Against Discrimination (Etudiants contre la discrimination), principal mouvement étudiant à l'origine des manifestations initiées début juillet.
Les manifestations contre un système de quotas d'embauche dans l'administration ont fait plus de 400 morts depuis début juillet à travers le pays.
Elles ont finalement abouti lundi au départ de Sheikh Hasina, 76 ans, contrainte de s'enfuir à bord d'un hélicoptère. Mme Hasina a atterri dans une base militaire près de New Delhi, selon la presse indienne, mais une source de haut niveau a affirmé qu'elle ne faisait que "transiter" par le pays avant de se rendre à Londres. L'appel du gouvernement britannique à une enquête de l'ONU sur des "niveaux de violence sans précédents" a cependant mis en doute cette destination.
- La police demande pardon -
Dans le pays troublé, le principal syndicat de policiers au Bangladesh a demandé "pardon" pour avoir tiré sur des étudiants, dans un communiqué publié mardi. Le syndicat a affirmé que les officiers de police avaient été "forcés à ouvrir le feu" puis présentés comme les "méchants". Il a annoncé aussi une grève pour garantir la sécurité des policiers.
L'armée a procédé à plusieurs remaniements parmi ses hauts généraux, notamment en rétrogradant certains d'entre eux considérés comme proches de Mme Hasina.
Le chef de l'armée bangladaise, le général Waker-Uz-Zaman a annoncé lundi la formation prochaine d'un gouvernement intérimaire. Il a promis de réparer "toutes les injustices" et de lever le couvre-feu dès mardi.
Le président et le chef de l'armée avaient rencontré le président Mohammed Shahabuddin lundi en fin de journée, ainsi que les principaux dirigeants de l'opposition. Le service de presse du président avait déclaré qu'il avait été "décidé de former immédiatement un gouvernement intérimaire".
La situation était calme mardi dans la capitale, Dacca.
Si la circulation a repris et les magasins ont rouvert, les bureaux de l'administration restaient cependant fermés, au lendemain de violences qui ont fait au moins 122 morts.
Après l'allocution de M. Waker, des millions de Bangladais avaient envahi les rues de Dacca lundi. Les manifestants avaient envahi le parlement, incendié des chaînes de télévision pro-gouvernementales et brisé des statues du père de la Première ministre Sheikh Mujibur Rahman, héros de l'indépendance du pays.
Les bureaux de la Ligue Awami, le parti de Mme Hasina, ont été incendiés et pillés à travers le pays, ont indiqué des témoins à l'AFP. Des commerces et des maisons appartenant à des hindous - un groupe considéré par certains dans ce pays à majorité musulmane comme étant proche de Mme Hasina - ont également été attaqués, selon des témoins.
Les diplomates de l'Union européenne au Bangladesh se sont déclarés mardi "très inquiets" après des informations concernant des attaques contre des groupes minoritaires.
Lundi a été la journée la plus meurtrière depuis le début des manifestations début juillet et 10 autres personnes ont été tuées mardi, portant le bilan à au moins 432 morts, selon un décompte de l'AFP basé sur les chiffres de la police, des responsables gouvernementaux et de médecins dans des hôpitaux.
- L'Inde "profondément préoccupée" -
Revenue au pouvoir en 2009, Mme Hasina avait remporté en janvier un cinquième mandat à l'issue d'une élection sans véritable opposition.
Les manifestations avaient commencé début juillet après la réintroduction d'un régime réservant près d'un tiers des emplois dans la fonction publique aux descendants d'anciens combattants de la guerre d'indépendance. Le gouvernement de Mme Hasina avait été accusé par les organisations de défense des droits humains de mettre à son service les institutions pour asseoir son emprise et éradiquer toute dissidence.
Le chef de l'Etat a ordonné lundi en fin de journée la libération des personnes arrêtées lors des manifestations.
L'ex-Première ministre et cheffe de l'opposition Khaleda Zia, 78 ans, a par ailleurs été libérée mardi, selon le porte-parole de sa formation, le Parti nationaliste du Bangladesh. Grande rivale de Mme Hasina, la cheffe du BNP avait été condamnée à 17 ans de prison pour corruption en 2018.
Dès mardi à Dacca, les mères de certains des centaines de prisonniers politiques secrètement emprisonnés sous le régime de Mme Hasina attendaient devant les services du renseignement militaire, espérant des nouvelles.
L'Inde s'est dite mardi "profondément préoccupée" par la crise au Bangladesh voisin.
De son côté la Chine a dit espérer un retour rapide de la "stabilité sociale" au Bangladesh, selon un porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères dans un communiqué.
V.Abaroa--ESF