Venezuela: crainte de dérapage inflationniste dans le sillage de la crise politique
Après des mois de quasi-parité, l'écart croissant entre taux de change officiel et parallèle du dollar ravive les craintes d'un dérapage de l'inflation au Venezuela, un pays déjà ébranlé par une crise politique née de la réélection contestée fin juillet du président Nicolas Maduro.
Actuellement, le différentiel est de l'ordre de 20% : un dollar équivaut à 36,81 bolivars à la Banque centrale du Venezuela (BCV).
Mais il équivaut à 44 bolivars sur le marché parallèle, apparu pendant la crise économique qui a éclaté il y a plus de 15 ans et le contrôle des changes mis en place dans la foulée.
Ce contrôle des changes a cependant été progressivement abandonné à partir de 2018, aboutissant à une dollarisation informelle de l'économie.
Si l'écart entre les taux officiel et parallèle continue de se creuser, le bolivar, soutenu à bout de bras par l'Etat, pourrait décrocher et plonger le pays dans l'hyperinflation et une nouvelle crise économique après une timide reprise.
L'écart qui s'est creusé depuis juillet "génère une pression importante sur les prix, tant en bolivars qu'en dollars, et des distorsions dans les moyens de paiement", explique à l'AFP l'économiste Asdrubal Oliveros, directeur du cabinet Ecoanalitica.
"Les gens essaient de payer en bolivars pour s'en débarrasser, alors que les entreprises et les sociétés essaient de recevoir le plus (possible) de paiements en dollars pour tenter de se protéger", souligne-t-il.
"Cela fait augmenter la demande de devises. Ces distorsions vont se matérialiser à court et à moyen terme par une accélération de l'inflation", prévient l'expert.
De facto, la plupart des ménages épargnent en dollars et la majorité des entreprises font leurs comptes prévisionnels en dollars.
Bien qu'elle soit l'une des plus élevées au monde, l'inflation au Venezuela est en baisse : le taux en glissement annuel était de 35,5% en août, selon la BCV. Un mal relatif après 686,4% en 2021, 234% en 2022 et 189,8% en 2023 avec un pic historique de 130.000% en 2018!
- Impasse politique -
L'hyperinflation et la crise politique ont poussé plus de sept millions des 30 millions de Vénézuéliens à migrer.
L'écart dans le taux de change réapparaît alors que le pays traverse une nouvelle période de turbulences politiques avec la réélection de M. Maduro le 28 juillet, alors que l'opposition crie à la fraude et revendique la victoire.
Le pouvoir a réussi à maintenir le taux de change autour de 36 bolivars pendant toute l'année en injectant en permanence des dollars sur le marché.
Plus de 3,7 milliards de dollars ont été utilisés à cette fin depuis janvier, selon le cabinet de conseil Aristimuno Herrera & Asociados. En 2023, l'Etat avait déjà injecté plus 4,7 milliards de dollars.
Et encore, "l'offre est insuffisante pour répondre à la demande", estime César Aristimuño, directeur du cabinet.
En 2022, le pouvoir avait déjà instauré une taxe de 3% sur les transactions en dollars pour tenter d'inciter entreprises et particuliers à utiliser le bolivar.
En parallèle, le gouvernement de gauche tente de contenir la demande avec des ajustements sévères. Ainsi par exemple, le salaire minimum est gelé depuis 2022, passant de 30 dollars par mois à moins de 4 aujourd'hui.
Menacées d'amendes, les entreprises sont obligées d'utiliser le taux officiel. Contrecoup, certaines augmentent leurs prix pour compenser. Résultat, les prix en dollars sont aussi à la hausse.
Ecoanalitica prévoit une inflation en dollars de 11% en 2024. M. Aristimuño prévient qu'il pourrait également y avoir un impact sur la disponibilité de produits en 2025 "si l'écart (entre taux officiel et parallèle) n'est pas comblé". Le pays avait connu des pénuries dramatiques entre 2014 et 2017.
L'incertitude née de la situation politique pourrait être un des "facteurs" de l'augmentation de la demande de dollars, valeur refuge, selon M. Oliveros.
Les experts estiment que, malgré la capacité du gouvernement à augmenter l'offre de dollars grâce à la relance de la production pétrolière, l'impasse politique et les sanctions économiques nuisent à la confiance des investisseurs et brident la croissance.
P.Rodríguez--ESF