France: Barnier prépare sa feuille de route, un chemin semé d'ornières
Le Premier ministre français Michel Barnier réunit vendredi son gouvernement pour s'accorder sur la feuille de route qu'il présentera mardi devant l'Assemblée nationale, dans un contexte budgétaire très contraint et sous la "surveillance" de l'extrême droite.
C'est le 1er octobre que le chef du gouvernement doit prononcer sa déclaration de politique générale dans une situation inédite de "multicohabitation", selon les termes du président du Conseil constitutionnel Laurent Fabius.
Cohabitation avec le président Emmanuel Macron qui l'a nommé le 5 septembre, bien que les deux hommes réfutent ce terme, cohabitation à l'Assemblée nationale où il ne dispose pas de la majorité absolue, y compris en additionnant ses soutiens parmi les élus du centre et de la droite (à laquelle il appartient), et cohabitation entre les forces au sein même de son gouvernement.
A deux semaines de la présentation d'un projet de budget 2025 à haut risque pour le gouvernement, Michel Barnier doit résoudre la quadrature du cercle budgétaire, alors que le déficit pourrait dépasser les 6% du PIB en 2024. C'est hors des clous de l'UE (3%), qui a lancé en juillet une procédure pour déficit excessif contre Paris.
Or vendredi une statistique a donné une nouvelle indication de la forte détérioration des finances publiques: la dette publique de la France a continué de gonfler à la fin juin, flirtant avec les 3.230 milliards d'euros à 112% du PIB contre 110,5% trois mois plus tôt.
C'est très loin du maximum de 60% du PIB fixé par les règles budgétaires européennes et de l'endettement de l'Allemagne (un peu au-dessus de ce seuil), première économie de la zone euro devant la France.
L'équilibre entre coupes dans les dépenses et recettes fiscales supplémentaires s'annonce très délicat à trouver, alors que le ministre du Budget macroniste Laurent Saint-Martin, privilégiant une réduction des dépenses, a exclu toute "augmentation d'impôts généralisée".
Michel Barnier a toutefois évoqué de possibles hausses ciblées sur les contribuables les plus riches et les grandes entreprises, brisant un tabou.
Et au plan politique, le chef du gouvernement est sur la sellette: la gauche a déjà prévu de déposer une motion de censure en fin de semaine prochaine, tandis que l'extrême droite agite la même menace sans dire à quelle échéance, ce qui équivaut à un "baiser de la mort", selon un parlementaire centriste.
Avant un séminaire prévu vendredi de 15H00 à 18H00, le Premier ministre a reçu les forces syndicales et patronales qui ont salué son "écoute" sans parvenir à déceler ses intentions. Il a aussi réuni mercredi soir, autour d'une même table, les groupes politiques de sa coalition, après plusieurs couacs.
- Bras de fer -
M. Barnier a en outre convoqué à l'hôtel particulier de Matignon qui abrite ses services, le ministre de la Justice Didier Migaud, ancien député socialiste et celui de l'Intérieur Bruno Retailleau, du parti de droite Les Républicains. A peine nommés, tous deux avaient engagé un bras de fer par médias interposés.
Depuis sa prise de fonctions, M. Retailleau martèle sa volonté de "rétablir l'ordre" et d'appliquer une ligne à droite toute sur l'immigration et la politique pénale, quitte à hérisser une partie de ses nouveaux partenaires du camp présidentiel.
Dès lundi soir, il était allé sur les plates-bandes de son collègue de la Justice en appelant à "changer une politique pénale qui, depuis très longtemps, a laissé s'installer ce droit à l'inexécution des peines".
M. Retailleau "doit savoir que la justice est indépendante dans notre pays", avait répliqué Didier Migaud. Vendredi ce dernier s'est dit prêt à voir s'il faut "faire évoluer l'arsenal juridique" après le meurtre d'une étudiante à Paris, dont le suspect était en attente d'expulsion, ce qui a suscité de nombreuses réactions politiques.
Selon l'entourage du Premier ministre, les ministres n'ont pas été recadrés jeudi mais ont travaillé aux "lignes communes sécurité et justice" de sa déclaration de politique générale.
Autre sujet délicat, la volonté tenace de la droite de réduire l'aide médicale d'Etat accordée aux étrangers en situation irrégulière, une mesure dont huit anciens ministres de la Santé de gauche et de droite ont dénoncé les "conséquences sanitaires, humaines, sociales et économiques inacceptables".
Outre l'immigration, qui a déjà fracturé l'ex-majorité, plusieurs sujets seront difficiles à arbitrer, comme la proportionnelle ou le texte sur la fin de vie, auxquels sont opposés plusieurs ministres conservateurs.
C.M.Diaz--ESF