La Russie devrait cesser d'intervenir à l'étranger, selon un ex paramilitaire de Wagner
La Russie devrait mettre un terme à ses interventions à l'étranger et se concentrer sur ses problèmes internes, estime Marat Gabidullin, ancien membre de la société militaire privée russe Wagner, dans une interview à l'AFP.
Âgé de 55 ans, cet ancien militaire russe de carrière est le premier membre du sulfureux groupe paramilitaire, au sein duquel il a évolué en Ukraine et en Syrie de 2015 à 2019, à prendre ouvertement la parole à visage découvert.
Dans un livre publié jeudi en France ("Moi, Marat, ex-commandant de l'armée Wagner", chez Michel Lafon), il décrit le quotidien des combattants de cette structure très secrète, accusée d'avoir commis des exactions notamment en Afrique, et avec laquelle les autorités russes affirment n'avoir aucun lien.
Wagner, "c'est une sorte de petite armée" dont les objectifs peuvent varier en fonction de la situation sur le terrain, explique l'ex-militaire, vêtu d'un jean, d'un polo sombre avec un écusson tête de mort à l'épaule et d'une casquette vissée sur la tête, lors d'un entretien mercredi à Paris.
Dans ses rangs, des mercenaires patentés, des professionnels, mais aussi des romantiques "voulant se frotter à la guerre" et d'anciens condamnés pour qui la porte de l'armée régulière est désormais fermée et qui sont attirés par des salaires supérieurs à ce qu'ils pourraient toucher en Russie - entre 1.500 et 2.200 euros suivant les missions.
Marat Gabidullin affirme quant à lui avoir rejoint Wagner en 2015 sur le conseil d'une connaissance après dix ans passés dans les rangs de l'armée russe et une condamnation à trois ans de colonie pénitentiaire pour avoir tué le chef d'un gang dans le cadre "d'un règlement de comptes avec la pègre".
Entre deux cigarettes, il raconte avoir effectué sa première mission aux côtés des combattants pro-russes dans l'est de l'Ukraine à l'été 2015 puis avoir enchaîné avec plusieurs missions en Syrie, en soutien aux forces du régime de Bachar al Assad, jusqu'en 2019. Un parcours que l'AFP n'a pas pu confirmer de manière indépendante.
S'il ne se livre à aucun mea culpa et affirme avoir fait son travail, il confie néanmoins avoir quitté "frustré et déçu" sa première mission en Ukraine à Louhansk, face à la "tromperie de la noble cause qui parlait de défendre les intérêts de la Russie".
Quant à la Syrie, où il sera grièvement blessé par une grenade à Palmyre, "l'intervention" de la Russie "n'a pas aidé" un peuple syrien éprouvé par la faim et le froid, estime-t-il.
- Recours "irrécusable" aux mercenaires -
"Il aurait mieux valu se concentrer sur les problèmes internes, mais regarder les problèmes internes est difficile", poursuit-il. "Nous aurions dû nous occuper de ces problèmes et les résoudre et œuvrer de telle sorte que les gens commencent à nous respecter et nous admirer afin que nous devenions un exemple pour l'Ukraine".
"Et alors l'Ukraine serait venue à nous et ne nous aurait pas repoussés", veut-il croire. Soupçonnés d'exactions au Mali, en Libye ou encore en Syrie, les paramilitaires de Wagner sont également présents en Ukraine - où l'armée russe a lancé une offensive le 24 février - selon le ministère britannique de la Défense.
Moscou a toujours démenti formellement tout lien avec cette société privée, soupçonnée d'agir en sous-main pour son compte.
Le recours de la Russie aux mercenaires, pratique officiellement interdite dans le pays, est "avéré, irrécusable", estime M. Gabidullin, qui met notamment en avant le type d'armes utilisées par Wagner ou encore sa décoration officielle russe.
Assurant ne pas avoir été témoin de crimes de guerre commis par ses frères d'armes sur le terrain, l'ancien militaire déclare, sans plus de détails, que les mercenaires ont pu être utilisés "dans certains cas" d'une manière "qui contredit toutes les normes et valeurs morales".
Et maintenant ? S'il espère avoir un jour l'occasion de revenir en Russie, sa "patrie", l'ex-militaire reconnaît qu'un retour à ce stade serait prématuré, compte tenu d'une loi récente réprimant de peines pouvant aller jusqu'à 15 ans de prison toute "information mensongère" sur l'action de Moscou à l'étranger.
"Il y a le risque que je ne puisse plus quitter le pays", relève M. Gabidullin. "Pour ce qui est d'avoir peur, pas peur...je survivrai d'une manière ou d'une autre".
E.Campana--ESF