Badges, bustes et bibelots: ces Chinois fans de "culture rouge" de l'ère Mao
Il a transformé son salon en mini-musée rempli d'immenses bustes et statues de Mao Tsé-toung: Feng Gang est l'un des principaux collectionneurs en Chine de ces "souvenirs rouges" des premières décennies de la République populaire.
Dans sa collection, fruit du travail d'une vie, figurent affiches de propagande, figurines colorées de héros révolutionnaires ou pièces commémoratives, souvenirs d'une époque révolue, marquée par une idéologie extrême jusqu'au décès en 1976 de Mao.
Agé de 53 ans, Feng Gang s'est joint courant septembre à Pékin à des centaines d'autres collectionneurs venus exposer leurs plus belles pièces, avant le 75e anniversaire de la fondation de la République populaire de Chine, le 1er octobre.
"J'ai débuté ma collection à l'école primaire, avec un badge commémoratif du président Mao", explique-t-il à l'AFP chez lui à Baotou, dans la région de Mongolie intérieure (nord).
Feng Gang avait cinq ans quand Mao Tsé-toung est mort.
Un séisme politique en Chine, qui mettait fin à deux décennies d'instabilité, marquées par des millions de morts, conséquence d'une répression politique et de mesures économiques hasardeuses ayant entraîné une famine dévastatrice.
"A l'époque", durant les premières décennies de la République populaire, "il y avait de gros haut-parleurs dans les villages", qui diffusaient des messages "où les gens parlaient du président Mao", se remémore Feng Gang.
"On a grandi en chantant +L'Orient est rouge+", l'une des plus célèbres chansons révolutionnaires chinoises, explique-t-il.
- Patriotisme -
Durant sa carrière dans l'armée, Feng a collectionné insignes, affiches, statues de dirigeants et autres objets quotidiens emblématiques de la révolution et de l'ère Mao (1949-1976).
Aujourd'hui responsable d'une branche de l'Association chinoise des collectionneurs spécialement dédiée à ces "souvenirs rouges", Feng Gang, désormais retraité, peut consacrer tout son temps à sa passion: éduquer les jeunes au patriotisme.
"Je trouve que c'est dangereux pour un pays quand ses citoyens manquent de conviction et n'aiment plus leurs héros nationaux", souligne-t-il.
La nostalgie pour l'époque Mao, malgré ses drames, a progressé ces dernières décennies, en raison du renforcement du patriotisme et en admiration de l'idéologie égalitaire de l'époque, qui contraste avec la mentalité plus individualiste d'aujourd'hui.
A Pékin, au marché des antiquaires de Panjiayuan, des centaines de collectionneurs venus de toute la Chine, dont Feng Gang, se sont réunis pendant quatre jours pour une célébration annuelle des "souvenirs rouges".
Un collectionneur, Dong Zhongchao, 60 ans, explique à l'AFP avoir rassemblé des objets "provenant de tous les coins du pays". On lui a même proposé jusqu'à 30.000 yuans (3.800 euros) pour certaines pièces "uniques", ce qu'il a refusé.
"En 30 ans, j'ai visité plus de 250 endroits en Chine" pour constituer cette collection, qui lui rappelle sa jeunesse, dit-il.
- "Tout mon temps libre" -
Un autre visiteur, M. Xiao, 55 ans, raconte collectionner les petits bibelots, les pièces de monnaie et les objets à l'effigie des dirigeants, mais surtout des héros de la révolution, qu'il admire particulièrement.
"Les jeunes se doivent de comprendre le patriotisme" de ces personnages historiques, affirme-t-il à l'AFP, au côté de sa fille de 28 ans.
Selon Emily Williams, spécialiste de cette culture mémorielle de l'ère maoïste, ces collections ont débuté dans les années 1980, lorsque l'ouverture à l'économie de marché a provoqué des bouleversements sociétaux.
"Pour certains collectionneurs, avec ces changements devenus si rapides, il y avait ce risque que les gens oublient tout le chemin parcouru", notamment durant la révolution chinoise, pour arriver à ce développement économique, souligne-t-elle.
Beaucoup sont des "enfants" des premières années de la République populaire et "croient dans les valeurs socialistes qui leur ont été enseignées à l'époque", note Mme Williams.
Pour Feng Gang, le collectionneur de Mongolie intérieure, c'est l'amour de la patrie et le désir d'"instruire les gens sur l'histoire de la Chine" qui l'a poussé à accumuler ces reliques du passé. Tel un sacerdoce.
"Quand je travaillais, j'y consacrais tout mon temps libre et mon énergie", explique-t-il. "J'utilisais mes congés" et "je n'avais pas de temps pour ma famille".
C.M.Diaz--ESF