Partir, ou garder espoir? Les îles du Pacifique face à la montée des eaux
La montée des eaux engloutit petit à petit le jardin de Carnie Reimers dans les Îles Marshall, la mettant face à un choix terrible: rester dans la seule maison qu'elle ait jamais connue ou devenir, comme d'autres habitants dans le Pacifique, une réfugiée climatique.
"Ce n'est pas un sujet facile à aborder", confie à l'AFP cette jeune militante de 22 ans, lors d'un événement sur le climat organisé cette semaine en marge de l'Assemblée générale de l'ONU à New York.
"Nous sommes profondément enracinés dans notre pays. Nous ne voulons pas être déplacés ou forcés de vivre ailleurs. Ce serait difficile de préserver notre culture", explique Carnie Reimers, soulignant la dimension émotionnelle des impacts du réchauffement climatique sur sa communauté.
Les plus grandes marées provoquent désormais, selon elle, des inondations envahissant jusqu'aux écoles ou bloquant l'accès à l'aéroport. Le pays envisage même de déplacer la capitale Majuro, où vit Carnie Reimers avec sa famille.
Beaucoup ont quitté les Îles Marshall, formant désormais une petite diaspora, comme dans l'Etat américain de l'Arkansas.
- "Lutte permanente" -
Les nations du Pacifique, faiblement peuplées et industrialisées, rejettent au total moins de 0,02% des émissions mondiales annuelles de gaz à effet de serre. Mais ce vaste ensemble d'îles volcaniques et d'atolls coralliens de basse altitude est touché de plein fouet par les effets du réchauffement climatique, notamment la montée des eaux.
"Chaque jour est une lutte permanente", raconte à l'AFP Grace Malie, une jeune femme de 25 ans originaire des Tuvalu, minuscule archipel polynésien qui risque de devenir la première nation rendue invivable par le réchauffement climatique.
Sur place, explique-t-elle, les habitants ont dû rationner des seaux d'eau de puits lors d'une vague de sécheresse il y a deux ans. L'eau douce a été contaminée par la montée des eaux salées il y a des années, laissant les environs 11.000 habitants du pays dépendant de l'eau de pluie.
En février dernier, une tempête à déferlé sur l'atoll Funafuti, capitale des Tuvalu, inondant les routes et s'infiltrant dans les maisons. Selon Grace Malie, cet épisode météo n'avait rien d'exceptionnel, mais avec l'élévation du niveau de la mer, n'importe quelle tempête est susceptible de faire des ravages.
Depuis le début du XXe siècle, le niveau moyen des mers s'est élevé plus rapidement que jamais au cours des 3.000 dernières années, conséquence directe, selon les experts, de la fonte des glaces terrestres et de l'expansion de l'eau de mer due au réchauffement de la planète.
- "Question de survie" -
D'après un récent rapport de l'Organisation météorologique mondiale (OMM), le niveau des mers a cru de 9,4 cm en moyenne à l'échelle mondiale en trente ans. Une hausse qui s'élève à 15 cm dans certaines zones du Pacifique.
"C'est la différence entre des inondations quelques fois par an, voire aucune, et des inondations 30 fois, 60 fois par an ou même tous les deux jours", explique à l'AFP Nadya Vinogradova Shiffer, cheffe du programme chargé de ce dossier au sein de la Nasa.
D'ici 2050, plus de la moitié de la superficie de la capitale des Tuvalu sera régulièrement inondée, un chiffre qui devrait atteindre 95 % d'ici 2100, selon les estimations officielles.
"Pour nous, c'est une question de survie", a insisté le Premier ministre Feleti Teo à la tribune des Nations Unies. Son gouvernement participe activement aux efforts diplomatiques visant à préserver les nations insulaires qui risquent d'être submergées.
L'année dernière, Feleti Teo a signé un traité historique avec l'Australie facilitant l'octroie d'une résidence permanente pour les ressortissants des Tuvalu.
L'activiste Grace Malie dit connaître plusieurs familles déjà installées en Nouvelle-Zélande et en Australie, même si pour d'autres, l'idée même de partir reste encore "très taboue".
Ses grands-parents ont ainsi juré de rester sur les îles aussi longtemps que possible, un sentiment qu'elle partage. "Nous ne voulons pas penser au pire, car ça va réduire nos espoirs".
P.Rodríguez--ESF