La Croatie se décide à protéger ses cimetières juifs après des décennies de négligence
Une étoile de David posée sur l'une des arcades du plus grand cimetière de Zagreb indique aux visiteurs qu'ils accèdent à la parcelle juive. Mais dans ses allées, une bonne partie des défunts juifs n'y sont plus, remplacés par des tombes catholiques.
En vertu d'une loi adoptée dans les années 1950, les concessions abandonnées, pour lesquelles aucun paiement n'avait été effectué pendant 10 ans, étaient réattribuées.
Or, avec la disparition presque complète de la population juive pendant la Seconde guerre mondiale, il n'y avait plus personne pour prendre soin des sépultures et payer leur entretien.
Plusieurs centaines de milliers de juifs, de Serbes, de roms et de Croates anti-fascistes ont été persécutés et exécutés par le régime pro-nazi croate, les oustachis, entre 1941 et 1945. Près de 80% des quelques 25.000 juifs ont été tués.
Ce qui a conduit à la négligence et parfois la destruction depuis la fin de la guerre d'environ 120 cimetières juifs à travers le pays, notamment de celui de Zagreb, Mirogoj, un des plus beaux parcs-cimetières d'Europe, connu pour son architecture monumentale du XIXe siècle.
Le premier défunt enterré à Mirogoj en novembre 1876 était pourtant un juif - Friedrich Miroslav Singer, enseignant réputé pour avoir introduit des cours de sport dans les écoles de Zagreb et avoir dirigé la première salle de musculation de la capitale croate.
"Même à l'entrée de la partie juive de Mirogoj, les tombes ne sont plus juives", explique à l'AFP le dirigeant de la communauté juive de Croatie, Ognjen Kraus. Résultat d'une période de "dévastation" durant laquelle les restes de plus 3.000 juifs ont été exhumés, ajoute M. Kraus.
- "Patrimoine mémoriel" -
Face à cette sitution, le gouvernement conservateur a annoncé en septembre son intention de protéger 52 cimetières juifs en les classant comme "patrimoine mémoriel".
C'est une façon de les conserver, explique à l'AFP la ministre croate de la Culture, Nina Obuljen Korzinek.
"Comme ils ont été négligés et abandonnés en raison des persécutions des juifs lors de l'Holocauste, nous avons décidé de les protéger tous ensemble en tant que patrimoine mémoriel", précise la ministre.
Quinze autres cimetières juifs bénéficient déjà d'une protection en tant que "sites culturels indépendants", de même que certains qui possèdent une parcelle juive, à l'instar de Mirogoj.
Selon le projet des autorités, préparé depuis des années avec les représentants de la communauté juive, ces cimetières seront soigneusement entretenus et progressivement reconstruit et leur présence indiquée au public, grâce à des financements du gouvernement et des municipalités.
Au cours des dernières années, les autorités croates ont régulièrement été accusées - y compris par la communauté juive - de ne pas réagir face au retour de symboles du régime oustachis et de discours complaisant sur cette période sombre de l'histoire croate.
- "La mémoire disparaîtra" -
Les juifs sont peu nombreux dans la Croatie d'aujourd'hui : environ 410 lors du recensement de 2021, 2.000 en réalité selon la communauté juive, comparé à 3,8 millions d'habitants dont 80% de catholiques.
Si la dégradation des cimetières se poursuit, "la mémoire des juifs disparaîtra", redoute M. Kraus.
Historiquement, la communauté juive a pourtant largement contribué au développement de plusieurs villes du pays sur les plans architectural, scientifique et artistique, faisant ainsi de Zagreb "une ville d'Europe centrale".
"Les cimetières juifs sont pratiquement les derniers témoins matériels de l'existence de la communauté juive en Croatie", souligne Srdjan Matic, une figure de la communauté juive locale, qui participe à ce projet de restauration des cimetières et y voit une action majeure.
"C'est aussi très important pour nous sur l'aspect religieux", dit-il. La religion juive ne permet pas de déplacer les restes d'un mort.
Plusieurs experts estiment aussi que la protection des cimetières est cruciale pour l'identité culturelle de la nation. "Le concept de Mirogoj en tant cimetière multiconfessionnel fait partie du patrimoine culturel qui doit absolument être protégé", dit Alan Braun, maître de conférence en architecture à l'université de Zagreb.
C.M.Diaz--ESF