El Siglo Futuro - Prisonnier en Russie: le supplice de l'Américain Hubbard, raconté par un codétenu ukrainien

Madrid -
Prisonnier en Russie: le supplice de l'Américain Hubbard, raconté par un codétenu ukrainien
Prisonnier en Russie: le supplice de l'Américain Hubbard, raconté par un codétenu ukrainien / Photo: © Moscow City Court press service/AFP/Archives

Prisonnier en Russie: le supplice de l'Américain Hubbard, raconté par un codétenu ukrainien

La torture, les humiliations, la faim: c'est ainsi que le militaire ukrainien Igor Chychko décrit ses deux années de détention en Russie, et celles de Stephen Hubbard, un septuagénaire américain détenu au secret et condamné en octobre à Moscou pour "mercenariat" au profit de Kiev.

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Pris par l'armée russe en avril 2022, M. Hubbard a été condamné à six ans et dix mois de prison le 7 octobre 2024, à l'issue d'un procès à huis clos aussi surprise qu'expéditif. Les Etats-Unis disent n'avoir que des informations "limitées" sur son cas du fait d'un refus de coopération de Moscou.

La Russie avait révélé seulement 10 jours plus tôt, le 27 septembre, détenir cet homme de 72 ans depuis deux ans et demi. Il était apparu au tribunal, frêle, pâle et peinant à se déplacer.

Igor Chychko avait lui été fait prisonnier en mai 2022, puis libéré dans un échange en mai 2024. Un journaliste de l'AFP avait fait sa connaissance en août, alors qu'il était traité pour les traumatismes dus à la détention. Il avait alors raconté avoir été incarcéré avec un Américain d'âge avancé, avant que Moscou révèle détenir M. Hubbard.

Dans deux entretiens accordés en septembre et en octobre à l'AFP, Igor Chychko a détaillé sa relation avec Stephen Hubbard et leurs vies dans deux prisons en Russie.

Les autorités russes, seules à même de le faire, n'ont pas répondu aux questions de l'AFP et n'ont donc pas confirmé que les deux hommes étaient détenus ensemble. De nombreux autres prisonniers ont dit avoir subi de mauvais traitements similaires à ceux rapportés par M. Chychko.

Selon ce dernier, les deux hommes étaient incarcérés à Novozybkov, dans la région de Briansk (ouest de la Russie) de septembre 2022 à mai 2023. Parfois, ils étaient dans des cellules voisines.

Puis, jusqu'au printemps 2024, ils étaient dans la colonie pénitentiaire n°7 de Pakino (région de Vladimir, 270 km à l'est de Moscou), où les deux détenus ont un temps partagé la même cellule.

Avant septembre 2022, Igor Chychko dit avoir été détenu à Stary Oskol, dans la région russe de Belgorod (ouest), et pense que M. Hubbard y était également même s'ils ne s'y sont pas rencontrés.

La présence parmi des prisonniers de guerre ukrainiens d'un étranger était une chose inhabituelle. "Ce n'était pas très clair ce qu'il faisait là", dit Igor Chychko, 41 ans, cernes profondes et joues creusées à cause des "801 jours" passés en captivité.

- Tabassé et forcé de ramper -

Selon lui, l'Américain a subi le même calvaire que ses camarades d'infortune ukrainiens: tous ont été tabassés, humiliés, affamés par leurs gardes, d'après le soldat qui dit avoir été un témoin direct de sévices infligés à Stephen Hubbard et les avoir endurés lui-même.

"Ils le battaient tout le temps, comme chacun de nous", raconte-t-il lors d'une rencontre à Kharkiv.

"Ils le frappaient avec des bâtons, des matraques, des coups de pied. Ils l'ont attaqué avec des chiens (...) ils le faisaient courir, ne le nourrissaient pas, le faisaient ramper dans les couloirs", explique-t-il encore.

Les gardes à Novozybkov frappaient "délibérément" les organes génitaux des détenus, selon lui, et forçaient des prisonniers, dont M. Hubbard, à "simuler" des actes sexuels entre eux pour les humilier.

M. Chychko raconte que le septuagénaire, avec qui il communiquait tant bien que mal en anglais, lui a confié avoir été torturé à l'aide de "chocs électriques".

Ces sévices auraient eu lieu lors d'interrogatoires auxquels l'Ukrainien n'a pas assisté, mais l'ex-détenu relève que la torture n'avait rien d'exceptionnel, dévoilant ses cicatrices sur les mains et son appareil auditif, l'ex-prisonnier ayant partiellement perdu l'ouïe sous les coups.

En octobre, le Haut-Commissaire de l'ONU aux droits de l'homme, Volker Türk a accusé la Russie de recourir de manière "généralisée et systématique" à la torture contre les prisonniers de guerre ukrainiens.

Le ministère russe des Affaires étrangères n'a lui pas répondu aux questions de l'AFP sur les conditions de détention de M. Hubbard, ainsi que la manière et la date à laquelle les Etats-Unis ont été informés de sa détention.

Selon la version officielle, présentée au procès du vieil homme et égrainée par des médias officiels russes, le ressortissant américain a été fait prisonnier le 2 avril 2022 lors de l'occupation d'Izioum, ville du nord-est de l'Ukraine, libérée depuis. Il y était installé depuis 2014 avec sa compagne ukrainienne. M. Hubbard a raconté ce parcours à son codétenu ukrainien.

D'après ses accusateurs russes, Stephen Hubbard avait rejoint au début de l'invasion russe, un bataillon de la défense territoriale ukrainienne, et était payé "au moins 1.000 dollars par mois".

- L'Amérique, "incarnation du Mal" -

Interrogées par l'AFP, les autorités ukrainiennes ont indiqué ne pas avoir trace de l'Américain au sein de cette composante de l'armée.

"Nous ne l'avons pas trouvé sur nos listes", a assuré Oleksiï Dmytrachkivsky chef du département de la communication du commandement des Forces de défense territoriales de l'Ukraine et porte-parole du commandement des forces ukrainiennes occupant une partie de la région russe de Koursk.

D'après les médias russes, M. Hubbard a plaidé coupable. Selon Igor Chychko, le vieil homme était "juste un civil". "Vous voyez un vieil homme en aussi mauvaise santé, comment est-ce que vous pourriez le voir comme un soldat?".

M. Chychko explique que selon les dires de Stephen Hubbard, ce dernier a été interpellé par des soldats russes près d'un point de contrôle à Izioum: "Ils ont compris (...) qu'il était Américain, qu'il avait de l'argent liquide sur lui".

Une fois en prison, M. Hubbard a été maltraité malgré son âge par les gardes justement parce qu'il était américain, selon son camarade de détention.

"Comprenez bien, pour nos gardes, l'Amérique est l'incarnation du Mal. Ils sont convaincus que les Américains doivent être anéantis", souligne-t-il.

Parmi les sévices subis par les détenus, la faim. Selon M. Chychko, ils étaient volontairement mal nourris et privés de repas en cas d'indiscipline.

Or Stephen Hubbard "ne faisait pas ce qu'ils lui disaient" de faire, affirme Igor Chychko.

- "Docteur La Mort" -

A Pakino, "les conditions étaient terribles. Je ne savais pas que les gens gonflaient à cause de la faim. Et là, nous avons tous commencé à gonfler, et diverses putréfactions sont apparues".

Stephen Hubbard aurait également été soumis aux mauvais traitements d'un médecin surnommé "Docteur La Mort" en raison de sa cruauté.

Pour "traiter" la gale, cet homme forçait les détenus, dont Stephen Hubbard, à rester nus dans des pièces "froides et humides" pour des séjours pouvant durer plusieurs semaines..

Et Stephen Hubbard réclamait de contacter sa famille, les autorités américaines ou même ukrainiennes, affirme le soldat. Il ne comprenait pas pourquoi les Etats-Unis ne pouvaient pas "le sortir de là".

Washington et Moscou ont procédé à nombreux échanges de prisonniers, notamment celui ayant permis en août la libération du journaliste américain Evan Gershkovich.

Mais début octobre, Washington a accusé Moscou d'avoir "refusé d'accorder un accès consulaire" à Stephen Hubbard, et a dit ne disposer "que d'informations limitées" sur son cas.

Igor Chychko affirme lui avoir entendu les gardiens de prison, en voyant son état, s'inquiéter du scandale que pourrait causer la mort d'un Américain dans une prison russe.

L'ex-prisonnier ukrainien a lui retrouvé sa femme et ses trois enfants, mais vit avec des séquelles psychologiques et corporelles.

Aujourd'hui, il souhaite que son compagnon américain puisse rentrer chez lui et raconter lui-même son histoire.

Selon M. Chychko, M. Hubbard ne pourra pas "tenir" longtemps physiquement et mentalement. A ce stade, Il est déjà "entre la vie et la mort".

H.Alejo--ESF