Entre la Syrie et le Liban, le calvaire de la traversée en temps de guerre
Quand elle voyage, Rim Ajami prend habituellement le taxi pour Beyrouth, car l'aéroport de sa ville, la capitale syrienne Damas, ne dessert plus qu'une poignée de destinations. Maintenant que Israël a bombardé la frontière, ce trajet lui coûte plus cher qu'un billet d'avion.
Cette femme de 67 ans veut rendre visite à sa fille à Athènes. Pour les Syriens, dont le pays est soumis à des sanctions économiques et englué dans la guerre depuis plus d'une décennie, le Liban est le principal poumon: il faut y passer pour voyager à l'étranger, pour des soins médicaux ou pour acheter les produits qui ont disparu du marché local.
Mais il y a trois semaines, les échanges de tirs entre Israël et le puissant Hezbollah au Liban ont tourné à la guerre ouverte. L'aviation israélienne pilonne les bastions de la formation islamiste pro-iranienne, dont la plaine de la Békaa, frontalière de la Syrie.
C'est là que le 4 octobre, une frappe israélienne a creusé un énorme cratère sur la route internationale, bloquant de fait le passage en voiture au principal poste-frontière entre le Liban et la Syrie.
L'armée israélienne accuse le Hezbollah d'y faire passer des armes.
- Taxi quatre fois plus cher -
Pour traverser ce cratère, Rim Ajami a dû descendre de son taxi.
"Des volontaires du Croissant-Rouge m'ont poussée en fauteuil roulant et des porteurs m'ont aidée à transporter mes bagages, puis une autre voiture m'a amenée à l'aéroport de Beyrouth", raconte-t-elle.
Elle a vu arriver les flots de réfugiés depuis le Liban, plus de 460.000 personnes depuis le 23 septembre selon Beyrouth.
Chaque jour, des centaines de personnes traversent le cratère à pied, sur des civières ou en fauteuil roulant.
Des Libanais mais aussi et surtout des Syriens qui, après avoir fui la guerre chez eux en se réfugiant au Liban, font le chemin en sens inverse pour échapper aux bombardements israéliens.
En tout, Mme Ajami assure avoir payé 400 dollars pour son trajet Damas-Beyrouth. Puis 320 dollars pour son billet Beyrouth-Athènes.
"Avant, le trajet en taxi coûtait entre 100 et 150 dollars. Aujourd'hui, entre 400 et 500", explique à l'AFP Ali al-Mawla, 31 ans, chauffeur de taxi.
"Il faut deux voitures", une de chaque côté de la frontière, "pour traverser le cratère et la route est très dangereuse", énumère le trentenaire. Dans ces conditions, dit-il, "personne n'accepte de travailler pour moins que ça".
Mais, quel que soit le prix, les prétendants au voyage sont au rendez-vous car "cette route est comme un poumon pour les deux pays".
- Boom des loyers -
C'est par Masnaa que des Syriens peuvent prendre un avion à Beyrouth, déposer une demande de visa dans les ambassades qui ont déserté Damas, retrouver des proches ou se ravitailler.
Avant que le Liban ne sombre dans la faillite économique puis la guerre, "nos voitures à destination de Damas étaient souvent chargées de médicaments étrangers introuvables ou d'appareils électroniques rares", se rappelle M. Mawla.
Et, surtout, dit-il, de bidons d'essence de contrebande pour des Syriens écrasés par les pénuries permanentes de gaz et de carburant.
Ces bidons ont vu leur prix augmenter avec la frappe israélienne: le litre d'essence a bondi de 20.000 à 30.000 livres syriennes, soit environ deux dollars. Une hausse qui a aussi participé à faire grimper le coût des trajets.
Et pour ceux qui entrent en Syrie, le voyage n'est pas la seule dépense qui a explosé. Avec l'afflux de réfugiés, les loyers ont augmenté de 50 à 100% en certains endroits.
"Quelques heures après la première vague d'arrivées, les loyers ont flambé", raconte Tareq Chabib, propriétaire d'une agence immobilière.
Dans les quartiers de moyen standing, poursuit ce Syrien de 42 ans, il faut compter environ 700 dollars.
Et pour plus luxueux, "environ 1.500 dollars". Soit quasiment vingt fois le salaire d'un fonctionnaire en Syrie.
E.Abril--ESF