Le comté de Clallam, dernier baromètre de la présidentielle américaine
Pour savoir qui s'assoira derrière le Bureau ovale en janvier, il faut être complètement à l'ouest.
Plus exactement au point le plus à l'ouest des Etats-Unis continentaux, dans le comté de Clallam, qui a toujours désigné le vainqueur de la présidentielle depuis 1980.
Dans ce pays de montagnes généreusement boisées et copieusement arrosé, séparé du Canada et de Seattle par des bras de mer, la majorité des 78.000 habitants ne s'est pas trompée depuis près de cinquante ans et l'élection de Ronald Reagan.
"Nous sommes le dernier comté du pays dont le vote est un baromètre du résultat de l'élection", souligne Rod Fleck, urbaniste à Forks, petite ville de ce comté de l'Etat de Washington (nord-ouest), cadre des romans et des films "Twilight".
De 1980 à 2016, seulement 19 des plus de 3.000 comtés américains avaient réussi à désigner tous les vainqueurs de la présidentielle.
Mais en 2020, Clallam a été le seul à choisir Biden.
L'endroit est très majoritairement blanc, à 80%, avec une proportion inférieure à la moyenne nationale d'habitants ayant fréquenté les bancs de l'université et un revenu moyen par foyer plus bas également.
Avec un tel profil, il aurait pu choisir en 2020 de réélire le républicain Donald Trump, qui attire les suffrages des blancs des classes populaires.
Mais Clallam a la particularité de n'être ni rouge, la couleur des républicains, ni bleu, celle des démocrates et de leur candidate Kamala Harris.
"Cela doit être quelque chose entre les deux", dit Hickory Grant dans son atelier de réparation à Forks, employant le qualificatif "violet", fréquemment utilisé aux Etats-Unis pour désigner les endroits qui ne penchent clairement ni d'un côté ni de l'autre.
- "Me faire entendre"
Hickory Grant, originaire du Kansas, siège au conseil municipal de Forks, un poste qu'il dit devoir au fait qu'il est profondément conservateur.
"C'est une petite ville. Tout le monde sait ce que tout le monde pense", dit-il. Mais le grand drapeau "Trump 2024" devant son atelier ne laisse pas vraiment place au doute.
Comme d'autres à Forks, qui compte quelque 3.000 habitants, il a pâti de la crise de l'industrie du bois sous l'effet conjugué de la concurrence internationale, des constructions de logements en baisse et des règles de protection de l'environnement.
Hickory Grant se voit comme un conservateur "dans un océan de progressistes", dans l'Etat de Washington réputé comme solidement démocrate.
"Ça me permet de me faire entendre, dit-il, ça marche bien ici à Forks mais ça ne marcherait pas autant à Port Angeles".
Principale ville du comté, avec 20.000 habitants, Port Angeles penche démocrate. Mais les pancartes Trump devant les maisons n'y sont pas rares.
Connue pour ses forêts pluviales à flanc de montagnes, Port Angeles, reliée au Canada par ferry, attire les touristes.
Ce secteur a pris de l'importance à mesure que déclinait l'industrie du bois et représente désormais "une composante très importante" de l'économie du comté avec ses "restaurants, hôtels, voyagistes et commerces", explique à l'AFP Mark Ozias, un élu local.
- "Moins coincé" -
La démographie explique aussi en partie la diversité des opinions politiques locales.
"Il y a des gens d'un peu partout qui s'installent ici", remarque Scott Chichester, un agriculteur près de Sequim.
Il a par exemple vu sa petite ville d'environ 6.000 habitants croître avec l'arrivée de retraités, d'abord de Californie puis d'ailleurs aux Etats-Unis, attirés par le coût de la vie plutôt abordable et un climat tempéré, protégé des abondantes pluies locales par le massif des Montagnes olympiques.
"Ces gens amènent leurs idées, leur culture quand ils s'installent", juge-t-il. "C'est moins coincé dans les vieilles traditions qu'avant, il y a plus de diversité d'opinions et de points de vue".
A Forks, l'urbaniste Rod Fleck revendique son appartenance démocrate et souligne que cela n'a jamais été un problème dans ce bastion républicain.
"J'ose espérer qu'il y a toujours des endroits dans l'Amérique rurale où les différences politiques sont ce qu'elles sont (le jour de l'élection) et, le lendemain, n'empêchent pas d'aider son voisin", glisse-t-il.
"C'est un peu -je touche du bois- ce qui arrive ici".
S.Lopez--ESF