Législatives cruciales pour les Géorgiens et leur avenir européen
Des législatives cruciales pour l'avenir de la Géorgie, divisée entre une opposition pro-européenne et un parti au pouvoir accusé de dérive autoritaire prorusse, se déroulent samedi, un scrutin émaillé d'actes de violence qualifiés de "profondément préoccupants" par sa présidente.
Les bureaux de vote ont ouvert vers 08H00 heure locale (04H00 GMT), ont constaté des journalistes de l'AFP. Leur fermeture est prévue pour 20H00 (16H00 GMT), avec dans la foulée de premiers sondages et des résultats préliminaires attendus dans la soirée.
De récentes enquêtes d'opinion indiquent qu'une alliance inédite de formations d'opposition pourrait vaincre le Rêve géorgien, le parti conservateur du milliardaire Bidzina Ivanichvili, qui tire depuis une dizaine d'années dans l'ombre les ficelles du pouvoir dans cette ancienne république soviétique du Caucase.
Parmi le quatuor de partis d'opposition concernés se trouve le Mouvement national uni de l'ex-président emprisonné Mikheïl Saakachvili, l'ennemi juré de M. Ivanichvili.
Mais le résultat de ces élections à la proportionnelle pour le renouvellement des 150 sièges du Parlement reste difficilement prévisible.
"Cette journée va déterminer l'avenir du pays", a prévenu après avoir voté la présidente pro-européenne, Salomé Zourabichvili, en rupture avec le gouvernement.
Bruxelles a averti que l'issue du vote déterminerait les chances de la Géorgie d'entrer dans l'UE. Ce pays d'environ quatre millions d'habitants a inscrit cette aspiration dans sa Constitution.
- Risque de troubles -
En milieu d'après-midi, cinq heures avant la fermeture des bureaux de vote, la participation était de 41,62%, en hausse par rapport à 2016 (34,79%) et 2020 (36,45%).
Surveillé par des observateurs internationaux, le scrutin a été marqué par plusieurs incidents, largement relayés en ligne.
La commission électorale a annoncé dans l'après-midi avoir été saisie de 133 réclamations sur des violations du secret du vote, des incidents à l'extérieur de bureaux de vote, des obstacles au travail des observateurs...
Une vidéo sur une bagarre dans un bureau de vote à Tbilissi a poussé Salomé Zourabichvili à demander au ministre de l'Intérieur d'agir. Dans un message vidéo, elle s'est inquiétée des "incidents violents profondément préoccupants (...) dans différents bureaux de vote".
L'association des jeunes avocats, qui surveille ces législatives, a fait état de "violations électorales significatives".
Des images semblant montrer un bourrage d'urnes à Sadakhlo, un village de l'est, ont été très partagées par l'opposition. La commission électorale a annulé les bulletins dans ce bureau.
L'opposante Tina Bokoutchava a accusé les "voyous" du Rêve géorgien de "s'accrocher au pouvoir" et de "miner le processus électoral", des propos rejetés par ce parti.
A Tbilissi, Guiorgui Kipchidzé, un musicien de 48 ans, croit dans la victoire de l'opposition. "La plupart des Géorgiens ont compris que le gouvernement actuel nous ramène vers le marais russe et nous éloigne de l'Europe".
Un autre électeur, Giga Abouladzé, a fait le choix inverse, considérant que le Rêve géorgien travaille "pour le peuple" et qu'il faut être "ami" avec l'Europe mais aussi avec Moscou.
L'expert Gela Vasadzé, du Centre d'analyse stratégique sur la Géorgie, a prévenu d'un risque de "troubles post-électoraux", si "le parti au pouvoir tente d'y rester quel que soit le résultat".
En cas de victoire, l'alliance d'opposition a promis des réformes électorales, judiciaires et l'abrogation de lois décriées promulguées il y a peu.
Elle envisage de former un gouvernement de coalition puis d'organiser un nouveau scrutin d'ici à un an pour mieux refléter la volonté des électeurs.
Le Rêve géorgien, au pouvoir depuis 2012, est accusé de s'être engagé dans une spirale vers un régime autoritaire prorusse et d'éloigner la Géorgie de l'Union européenne et de l'Otan, à laquelle elle ambitionne également d'adhérer.
- Crainte d'une "Ukrainisation" -
Certains de ses dirigeants sont très critiques envers l'Occident. Bidzina Ivanichvili l'a qualifié de "parti mondial de la guerre", qui traiterait la Géorgie, sa victime, comme de la "chair à canon".
Cette ex-république soviétique bordant la mer Noire reste très marquée par une brève guerre en 2008 avec l'armée russe.
A son issue, la Russie a installé des bases militaires dans deux régions séparatistes géorgiennes, l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud, dont elle a reconnu l'indépendance unilatéralement proclamée.
Dans ce contexte, le Rêve géorgien a fait campagne en se présentant comme seul capable d'empêcher une supposée "Ukrainisation" de la Géorgie.
Le gouvernement dit vouloir obtenir les trois quarts des sièges du Parlement, ce qui lui permettrait de modifier la Constitution et, en vertu de son projet, d'interdire les partis d'opposition pro-occidentaux.
La Géorgie a été secouée en mai par de grandes manifestations contre une loi sur "l'influence étrangère", inspirée d'une législation russe sur les "agents de l'étranger" utilisée pour écraser la société civile.
Bruxelles a gelé dans la foulée le processus d'adhésion de la Géorgie à l'UE et les Etats-Unis ont pris des sanctions contre des responsables géorgiens.
Autre cause de tensions avec les Occidentaux : la récente promulgation d'une loi restreignant fortement les droits des personnes LGBT+ en Géorgie, un pays de tradition chrétienne orthodoxe où l'hostilité envers les minorités sexuelles demeure forte.
M.E. De La Fuente--ESF