Bruxelles pour une Ukraine candidate à l'UE, la Russie coupe le gaz à l'Europe
La Commission européenne a recommandé vendredi, à la suite de Paris, Berlin et Rome, d'accorder à l'Ukraine le statut de candidat à l'Union européenne, une promesse qualifiée de "message mensonger" par Moscou qui a coupé cette semaine en grande partie le gaz à l'Europe.
Cette accélération, à l'approche du sommet européen des 23-24 juin qui devra décider à l'unanimité et surmonter les réticences de certains pays membres, intervient au moment où l'armée ukrainienne est à la peine face à la puissance de feu russe dans la région orientale du Donbass. L'ONU a alerté sur la situation humanitaire "extrêmement alarmante" de populations assiégées et bombardées sans répit dans cette région, notamment dans la ville pilonnée de Severodonetsk.
"La Commission recommande au Conseil, premièrement, de donner à l'Ukraine une perspective européenne et, deuxièmement, de lui accorder le statut de candidat", a-t-elle ajouté, au lendemain de la visite à Kiev des dirigeants de l'Allemagne, de la France et de l'Italie, les trois premières puissances européennes qui ont délivré le même message. La Moldavie, petite république roumanophone voisine de l'Ukraine, bénéficie du même soutien. La Géorgie, pays du Caucase également envahi par la Russie en 2008, devra attendre.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a salué sur Twitter la perspective d'une "première étape sur la voie de l'adhésion à l'UE, qui nous rapprochera certainement de la victoire" face à la Russie.
Ursula von der Leyen a averti l'Ukraine qu'il faudrait, avant une adhésion, progresser encore dans la lutte contre la corruption notamment. Dans son rapport 2021, l'ONG Transparency International classe ce pays 122e sur 180. C'est mieux qu'en 2014 (142e), et mieux que la Russie (136e), mais encore très loin derrière ses voisins membres de l'UE (le moins bien placé, la Bulgarie, est au 78e rang).
La présidente moldave Maïa Sandu, dont le pays se sent également menacé par les ambitions russes, a vu dans l'annonce de Bruxelles "l'espoir dont nos citoyens ont besoin".
- Réplique de Moscou -
La Russie de son côté, qui après avoir justifié son offensive contre Kiev par la crainte d'une avancée de l'Otan, ne cache plus qu'elle se bat aussi contre une avancée de l'UE dans son ancien pré carré, a aussitôt tempêté contre un "message mensonger".
"Depuis des années, la communauté occidentale manipule cette histoire d'engagement de l'Ukraine dans leurs structures d'intégration, et depuis l'Ukraine va de plus en plus mal", a dit aux agences russes la porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova.
L'Ukraine "n'aura aucun avenir radieux" dans l'UE, a-t-elle affirmé.
L'examen express de la candidature de Kiev, déposée en février, est d'une rapidité inédite, justifiée par la guerre lancée le 24 février par Vladimir Poutine.
L'Autriche, de son côté, a invité ses partenaires de l'UE à envoyer également "des signaux clairs aux pays des Balkans occidentaux lors du sommet, en particulier à la Macédoine du Nord, à l'Albanie et à la Bosnie-Herzégovine", soulignant "le grand potentiel de déstabilisation de la Russie non seulement à l’est de l'Europe, mais aussi au sud-est", par la voix de son ministre des Affaires étrangères Alexander Schallenberg.
Lors de cette semaine décisive dans sa lutte d'influence avec l'Occident, Moscou a adjoint le geste à la parole, coupant progressivement mais massivement ses livraisons de gaz à l'Europe occidentale qui en est très dépendante, au motif de problèmes techniques qui n'ont pas convaincu les responsables européens.
Le gestionnaire du réseau gazier français, GRTgaz, a annoncé vendredi ne plus recevoir de gaz russe par gazoduc depuis le 15 juin, avec "l'interruption du flux physique entre la France et l'Allemagne".
Le géant russe Gazprom a considérablement réduit ces derniers jours ses livraisons notamment vers l'Allemagne via le gazoduc Nord Stream 1, suscitant une explosion des prix.
En Italie, Gazprom livrera seulement 50% du gaz demandé vendredi par Eni, a annoncé en outre le groupe italien.
Le chef du gouvernement italien Mario Draghi a dénoncé jeudi à Kiev une "utilisation politique du gaz".
"Il ne faut pas se faire d'illusions, nous sommes dans une épreuve de force avec Poutine", a dit Robert Habeck, le ministre allemand de l'Économie et du Climat. "C'est comme ça que les dictateurs et les despotes agissent."
Le président américain Joe Biden, dont le pays est un fournisseur possible de gaz liquéfié GNL pour l'Europe, a accusé la Russie vendredi d'alimenter avec sa guerre contre l'Ukraine une "crise énergétique mondiale", appelant à mettre sur pied "une "sécurité énergétique fiable et de long terme", lors d'une conférence sur le climat.
"Nos actions pour libérer le Donbass n'ont rien à voir avec ça", a rétorqué le président russe Vladimir Poutine au forum économique de Saint-Pétersbourg. "C'est le résultat des erreurs systémiques de l'administration américaine et de la bureaucratie européenne", a-t-il affirmé.
- Drame humanitaire -
Sur le front des combats, les forces ukrainiennes restent en difficulté dans le Donbass, cette région de l'est du pays partiellement contrôlée par des séparatistes prorusses depuis 2014, et que Moscou s'est fixé pour objectif de conquérir.
L'ONU a souligné vendredi que "la situation humanitaire dans toute l'Ukraine, en particulier dans l'est du Donbass, est extrêmement alarmante et continue de se détériorer rapidement".
Selon Ocha, l'agence humanitaire de l'ONU, la situation est "particulièrement préoccupante" à Severodonetsk et dans ses environs.
Les combats se concentrent depuis plusieurs semaines sur Severodonetsk et Lyssytchansk, deux villes clés pour le contrôle du Donbass, soumises à des bombardements constants.
La grande usine chimique Azot de Severodonetsk, où environ 500 civils ont trouvé refuge aux côtés de militaires ukrainiens, est impossible à évacuer sans "cessez-le-feu complet" en raison de "bombardements et combats constants", a déclaré vendredi le gouverneur de la région de Lougansk, Serguiï Gaïdaï.
A Lyssytchansk, une frappe de missile sur la "Maison de la Culture", où étaient réfugiés des habitants de la ville, a fait trois morts et sept blessés, a indiqué vendredi le service de presse du président ukrainien. Un autre civil a été tué en pleine rue dans un bombardement, selon la même source.
Une frappe russe vendredi matin à Mykolaïv, dans le sud de l'Ukraine, a en outre fait au moins deux morts et vingt blessés, selon un bilan communiqué par le gouverneur de la région.
L'armée russe a affirmé par ailleurs qu'un peu moins de 7.000 "mercenaires étrangers", issus de 64 pays, étaient arrivés en Ukraine depuis le début du conflit et que près de 2.000 d'entre eux avaient été tués.
Par ailleurs, la marine ukrainienne a affirmé vendredi avoir détruit un remorqueur russe, le "Vasiliy Bekh", qui transportait des armes et des munitions en mer Noire.
La Russie a "déjà perdu sur le plan stratégique" sa guerre en Ukraine et "ne prendra jamais le contrôle" du pays, a estimé vendredi le chef d'état-major des armées britannique, l'amiral Tony Radakin. Selon ce dernier, "le président Poutine a utilisé 25% de la puissance de son armée pour engranger des gains territoriaux minuscules".
Nouveau signe d'une coupure profonde des liens avec la Russie, en Suisse le prestigieux laboratoire scientifique européen CERN a annoncé vendredi qu'il allait mettre fin aux accords de coopération avec la Russie et le Bélarus après leur expiration en 2024.
L'Ukraine a de son côté annoncé l'instauration d'un régime de visas pour les citoyens russes.
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E.Abril--ESF