Au CHU de Strasbourg, les urgences "débordent dans les couloirs"
"On est plus que complet, ça déborde dans les couloirs": à Strasbourg, la triple épidémie de grippe, de covid et de bronchiolite sature toute la chaîne de soins d'urgence et use les soignants qui insistent sur les consignes de prévention et de vaccination.
Allongé sur son brancard au milieu du service des urgences du CHU, Yohan Wolff prend son mal en patience. Ce mécanicien automobile de 28 ans a été admis pour des douleurs au niveau de la cage thoracique, mais ne sait pas encore exactement ce qu'il a.
"Je suis là depuis 04H00 du matin. J'attends pour faire un scanner, c'est long, le temps ne passe pas", explique-t-il, en milieu d'après-midi. "Mais ma femme est aussi soignante, donc je sais le rush qu'ils ont", complète-t-il, reconnaissant à l'égard du personnel hospitalier qui se démène autour de lui.
"On m'a déjà fait passer des examens, dont une échographie qui n'a rien donné", complète ce jeune père de famille, conscient d'être chanceux par rapport à d'autres patients, qui attendent pour certains une prise en charge depuis plus de 24 heures.
"Les jeunes, ça va encore, mais quand on a des nonagénaires, c'est compliqué", souligne le professeur Pascal Bilbaut, chef des urgences, en pointant les brancards alignés les uns à côté des autres un peu plus loin, et qui s'accumulent jusque dans l'entrée du service.
"On est arrivé à 220 passages par jour environ sur nos deux sites d'accueil des urgences. C'est un chiffre en augmentation de 6% par rapport à 2021", qui était déjà une année record, souligne-t-il.
- Unité fermée -
"On ressent à la fois les crises épidémiques, les vacances, et le mouvement social (de grève, ndlr) de la médecine libérale. On tient, on assure les vraies urgences, mais ça entraine des délais d'attente pour les autres".
L’hôpital, qui alertait déjà sur ses conditions de travail et le manque de moyens bien avant la pandémie de covid, se retrouve démuni pour faire face à cette nouvelle crise.
"Ici par exemple, on n'a pas de patients, ce n'est pas normal, mais c'est une unité qu'on a fermée par manque de médecins urgentistes, partis en arrêt maladie ou ayant carrément quitté l’hôpital", expose Pascal Bilbaut devant la salle d'attente de la traumatologie ambulatoire, entièrement vide.
"C'est quelque chose que je n'avais jamais vu, jusqu'à cette année", s'inquiète le praticien, en poste depuis 31 ans. "Les pénuries de lits ont des conséquences pour les patients, non vitales, mais des conséquences quand même".
Le syndicat Samu-Urgences de France, lui, a comptabilisé au moins 23 décès "inattendus" depuis le début du mois de décembre au niveau national, conséquence des difficultés de prise en charge.
- "1.800 appels par jour" -
Cette "tension permanente" pèse également sur le quotidien des soignants. "On ressent de la fatigue physique et mentale. Depuis quelques semaines c'est très compliqué, on est sur un fil", concède sous son masque Albin Ancel, 29 ans, infirmier aux urgences depuis 8 ans.
Il témoigne du "gros turnover" du service, "régulièrement en sous-effectif", et qui n'arrive pas à retenir ses jeunes recrues. "On fait parfois des prises de sang dans les couloirs, des examens entre les paravents... On aimerait faire mieux que ça, mais on n'a que deux bras, deux jambes, on fait le maximum avec les moyens qu'on a".
La congestion des urgences s'observe également sur le parking de l’hôpital, où s'accumulent les ambulances qui attendent des heures la prise en charge de leurs malades, et jusque dans la salle de régulation des appels du Samu, où les médecins sont débordés.
"On a une augmentation considérable de l'activité, plus de 1.800 appels décrochés par jour", résume le docteur Anne Weiss, responsable du Samu du Bas-Rhin. "On se rapproche des chiffres observés pendant l'épidémie de covid, mais on n'a plus les mêmes renforts".
Casque sur les oreilles et les yeux rivés sur trois écrans d'ordinateur bardés de bandeaux rouges, verts et bleus, chaque assistant de régulation médicale tente de parer au plus pressé et de repérer les urgences vitales. "On tient parce qu'on n'a pas le droit de craquer, mais on est de plus en plus près du précipice", conclut-elle.
A.M.Ruiz--ESF