MotoGP: dominateurs jadis, les constructeurs japonais distancés par les européens
La fin d'un long cycle: dominateurs en MotoGP pendant des décennies, les constructeurs japonais sont désormais distancés par les marques européennes et notamment Ducati, qui va décrocher son deuxième titre mondial consécutif chez les pilotes ce week-end à Valence.
Depuis 1974, en 500 cm3 puis MotoGP, seuls les titres en 2007, remporté par l'Australien Casey Stoner avec Ducati, et en 2022, décroché par l'Italien Francesco Bagnaia, qui vise le doublé ce week-end, toujours sur Ducati, avaient échappé aux motos nippones.
La firme italienne, également dominatrice en SuperBike, va par ailleurs s'adjuger la couronne mondiale des constructeurs pour la quatrième année de suite, preuve de ce revirement profond.
En 2023, Honda et Yamaha, les deux constructeurs japonais encore présents dans le paddock de MotoGP après le retrait de Suzuki fin 2022, ont été devancés par les trois marques européennes, Ducati, KTM et Aprilia.
Plusieurs raisons peuvent expliquer cette situation, mais la principale est la façon de travailler et la mentalité différente des Japonais par rapport aux Européens.
"J’ai travaillé pendant quasiment 40 ans avec les Japonais. Au Japon, on a toujours tendance à vouloir tester et retester tous les nouvelles choses. Avant que ça devienne une évolution, il se passe beaucoup trop de temps", a expliqué à l'AFP Hervé Poncharal, patron de l'équipe Tech 3, affiliée à KTM depuis 2019.
"Le processus de validation est presque aussi long que pour la production de masse. Les Japonais ont tendance à réfléchir de la même façon pour la course et pour la production de masse. En Europe, quand les services course trouvent une évolution, validée par les équipes d’essais, ils y vont...", a poursuivi le Français.
Contrairement aux Européens, les ingénieurs nippons sont très peu enclins à prendre des risques, une posture qu'ils payent aujourd'hui dans une course effrénée aux améliorations que Ducati domine haut la main.
- "trop conservateurs" -
"Les Japonais travaillent bien mais sont encore trop conservateurs et si avant cela ne les empêchait pas de gagner, ce n’est plus le cas maintenant. Ducati a été le premier constructeur à se rapprocher des limites du règlement et ils sont désormais très très rapides. KTM travaille très très bien et Aprilia fait du super boulot avec des moyens plus limités que les autres", a détaillé à l'AFP Maio Meregalli, la directeur de l'équipe Yamaha.
"Les constructeurs européens prennent plus de risques, ils mettent moins de temps à fabriquer des pièces et quand ça ne marche pas, ils les enlèvent tout de suite. Les ingénieurs japonais aiment bien tester, retester, réessayer et c’est là où on perd du temps", a confirmé à l'AFP le Français Fabio Quartararo, champion du monde 2021 avec Yamaha et aujourd'hui en difficulté.
La marque nippone a toutefois pris la mesure de ce problème et vient de modifier son fonctionnement afin d'essayer d'empêcher l'écart de se creuser encore plus avec les Européens.
"Depuis un an, nous avons commencé à travailler avec des ingénieurs européens en Europe. Au Japon, ils ont commencé à comprendre que les mentalités avaient changé et qu’il fallait réagir plus vite. Nous avons pris cette direction et on commence à le voir car on peut obtenir des pièces plus rapidement. Mais c’est un processus qui prend du temps donc il faudra encore attendre pour voir les résultats positifs de cette politique", a estimé Meregalli.
Honda, premier constructeur mondial de motos, n'en est pas encore là et ne cesse de s'enfoncer, à tel point que l'Espagnol Marc Marquez, sextuple champion du monde de MotoGP, a décidé de claquer la porte un an avant la fin de son juteux contrat pour rejoindre une équipe satellite de Ducati en 2024.
Pour aider les Japonais, les équipes de MotoGP discutent actuellement de concessions qui pourraient leur être accordées, c'est à dire des avantages pour réduire leur retard tel que plus de jours d'essais, disposer de plus de pneus, voire une spécification moteur supplémentaire par saison.
En attendant cette décision, les marques nippones s'en remettent à leurs meilleurs pilotes pour limiter la casse, ce qu'elles parviennent à faire parfois puisque Honda a remporté le Grand Prix des Etats-Unis en avril avec l'Espagnol Alex Rins, tandis que Yamaha a décroché trois podiums en GP grâce à Quartararo.
"Il y a énormément de facteurs qui entrent en jeu donc c’est difficile de déterminer ce qui provoque cette situation. Les Japonais sont en difficulté, mais on ne peut pas dire qu'ils sont largués, il s’agit de quelques dixièmes seulement donc ce n’est pas rédhibitoire", conclut Poncharal.
L.M. Del Campo--ESF