Ultim Challenge: "Les hommes se révèlent" autour du monde, dit Thomas Coville
"A l’arrivée, il y aura six personnes changées". Le navigateur Thomas Coville est le seul des marins engagés sur l'Ultim Challenge qui compte déjà un tour du monde en solitaire sur un maxi-trimaran.
Avant le départ de la course dimanche à 13h30 à Brest, il est revenu auprès de l’AFP sur ses précédentes aventures autour du globe et sur les défis qui les attendent, lui et ses cinq concurrents (Charles Caudrelier, Armel Le Cléac'h, Tom Laperche, Anthony Marchand et Eric Péron).
QUESTION : Comment en arrive-t-on à faire un tour du monde à la voile ?
REPONSE : "C'est en voyant mon père, qui pouvait être quelqu'un d'assez austère, ému en écoutant à la radio le départ de la Whitbread en 1977 (course à la voile autour du monde en équipage et par étapes, NDLR). Je pense que lui aussi il a rêvé de faire le tour du monde et c'est un peu son imaginaire qui m'a emmené à réaliser toutes ces aventures."
Q: Vous avez désormais huit circumnavigations à votre actif, trois en solitaire dont un record, que retenez-vous de votre premier périple autour du monde ?
R : "J'ai embarqué avec Olivier de Kersauson en 1997 pour un trophée Jules Verne (tentative de record autour du monde en équipage, NDLR). Cela a été extrêmement initiatique. L'ambiance était tendue car il y avait une grosse pression pour réussir; c'était très difficile, mouvementé et éprouvant. Mais à l'arrivée je suis choqué et abasourdi par ce que je viens de vivre et je n'ai qu'une envie : y retourner."
- "Au bout de vingt jours en solitaire, on devient un animal" -
Q: Pourquoi ?
R: "Je pense que c'est un peu comme les himalayistes qui tombent nez à nez avec le sommet de d'une montagne. Ils reviennent différents. Je me suis dit: +Si je veux prétendre à être un bon marin un jour, c'est là qu'il faut aller.+ Les hommes se révèlent entre le cap de Bonne-Espérance et le cap Horn."
Q: Au-delà de cette approche philosophique, il y a aussi le défi physique ?
R: "Cela fait partie des choses qui m'attirent car, avant de gagner un tour du monde, il faut le finir. C'est presque une bagarre contre soi-même. La fatigue, la gestion d'un engin complexe. Au bout de vingt jours en solitaire, il y a toujours la même sensation, on devient un animal, en symbiose avec le voilier. Je ne ressens pas ça sur les autres courses car elles durent moins longtemps."
- "On sera les seuls à savoir ce que les autres ont traversé" -
Q: Pour la première fois, des maxi-trimarans vont faire le tour du globe ensemble lors d'une course, cela change votre approche ?
R: "Il n'y a aucun imposteur parmi les marins qui partent. Ce sont tous des mecs brillants. On va partager quelque chose ensemble d'absolument unique. A l'arrivée, il y aura six personnes changées et on sera les seuls à savoir ce que les autres ont traversé. Mais pour moi, la course va commencer au cap Horn, avant c'est impossible d'être dans le comptable et la stratégie, ce sera du dosage et de la gestion."
Q: Quelles sont les étapes marquantes d'un tel périple ?
R: "Il y a toujours les deux nuits avant le départ, où si tu affirmes avoir bien dormi c'est que tu es un bon menteur. Et puis l'arrachement au coup de canon avant plusieurs jours de tension: on a toujours peur de l'erreur de montage sur le bateau. Ensuite c'est plus jouissif, car on s'approprie petit à petit la machine et les éléments."
Q: Ce tour du monde doit durer un peu plus d'une quarantaine de jours, il y a encore du temps pour se sentir seul, s'ennuyer et contempler ?
R: "Non, pour la solitude et l'ennui. Dès que tu as un moment de répit, c'est que tu peux faire quelque chose: dormir, manger ou réparer. C'est une épreuve assez bestiale au final. La contemplation, parfois mais ce n'est pas vraiment des moments cartes postales comme on peut se l'imaginer avec un beau coucher de soleil... C'est plutôt de se satisfaire quelques minutes d'un bon réglage de voile ou d'une longue session de vol au dessus de l'eau. Des instants plus fugaces, mais dont tu te souviens toute une vie."
Propos recueillis par François d'Astier
G.Aguado--ESF