Au Cachemire indien, une station de ski attend désespérément la neige
Dans l'Himalaya, l'hiver devrait être synonyme d'un épais manteau de neige, mais Gulmarg, l'une des stations de ski les plus hautes au monde, dans le Cachemire indien, attend désespérément les milliers de touristes qu'elle attire habituellement.
Cette année, la poudreuse qui recouvre d'ordinaire la région est absente. Les pentes des montagnes sont restées brunes et dénudées, des conditions météorologiques exceptionnelles liées, selon les experts, au réchauffement de la planète.
Le manque de neige frappe non seulement le secteur du ski, mais inquiète aussi l'agriculture, pilier de l'économie du Cachemire.
"En voyant Gulmarg sans neige, j'ai tous les jours envie de pleurer", se lamente Mubashir Khan, organisateur de voyages aventure. Il a dû suspendre son projet de mariage car son entreprise est au bord de la faillite.
"Depuis 20 ans que je travaille ici, c'est la première fois que je ne vois pas de neige à Gulmarg en janvier", explique Majeed Bakshi, dont le service d'héliski destiné aux touristes les plus fortunés est à l'arrêt. Un seul hélicoptère attend les quelques touristes encore présents, proposant de survoler des sommets plus hauts recouverts de neige.
"Nos clients sont principalement des skieurs et ils ont tous annulé leur réservation", indique Hamid Masoodi, un manager d'hôtel. "Ceux qui viennent malgré le manque de neige sont déçus".
Les remontées mécaniques sont fermées, les magasins de location aussi et une nouvelle patinoire ressemble à une piscine.
"La période de sécheresse actuelle est un événement météorologique extrême", un de ces phénomènes qui "devraient devenir plus intenses et plus fréquents à l'avenir", indique le climatologue Shakil Romshoo, de l'Université islamique des sciences et technologies du Cachemire.
- Températures en hausse -
Cette région a vu pendant des décennies une insurrection séparatiste réprimée par des opérations militaires, qui ont fait des dizaines de milliers de morts, civils, soldats ou rebelles.
Quand l’insurrection a régressé, l'Inde a fortement encouragé le tourisme dans ces paysages de montagne spectaculaires.
Mais à Gulmarg, les réservations d'hôtel ont chuté de trois quarts, affirment les professionnels du tourisme, et des centaines de guides et de conducteurs de motoneige désoeuvrés attendent au soleil.
"La plupart des étrangers, qui viennent principalement pour skier (...) ont annulé", se désole Majeed Bakshi. "J'ai perdu environ 70% des réservations".
A 2.650 mètres d'altitude, la station abrite également une école de guerre spécialisée dans les conflits en altitude (Haws). Elle est située à proximité de la "ligne de contrôle" militarisée, frontière de facto entre l'Inde et le Pakistan qui se disputent la souveraineté sur le Cachemire.
La région a enregistré peu de pluie cette année et les températures affichent en moyenne six degrés Celsius de plus que la normale depuis l'automne dernier, selon les services de météorologie.
Le mois dernier, les précipitations au Cachemire étaient 80% plus faibles que les années précédentes. Les quelques averses de neige tombées sur Gulmarg ont vite fondu.
Le ministère indien des Sciences de la Terre s'attend à un impact particulièrement marqué du réchauffement climatique dans l'Himalaya et au Cachemire, selon un rapport de 2020.
Début janvier, l'Organisation météorologique mondiale de l'ONU a annoncé que 2023 avait été "de loin" l'année la plus chaude jamais enregistrée. La température mondiale moyenne annuelle en 2023 était de 1,45 degré Celsius au-dessus des niveaux préindustriels (1850-1900).
- Sécheresses prolongées -
Au Cachemire, l'impact est bien visible. Le paysage en forme de cuvette de Gulmarg, apprécié des touristes pour la neige en hiver et les prairies fleuries au printemps, est brun et sombre.
Outre un effondrement de l'industrie du ski, les habitants de la région s’inquiètent d'une pénurie d’eau qui pourrait avoir un impact désastreux sur l'agriculture.
Selon le climatologue Shakil Romshoo, le Cachemire devrait "connaître des périodes de sécheresse plus fréquentes et plus prolongées" dans les décennies à venir.
Les changements climatiques ont déjà poussé les agriculteurs à modifier leurs pratiques. Cette semaine, les autorités du Cachemire ont mis en garde contre des pénuries d'eau et les risques d'incendies de forêt, faute de neige, qui alimente généralement les rivières.
Des cultivateurs ont abandonné le riz pour des arbres fruitiers, moins gourmands en eau. Mais avec la sécheresse et l’ensoleillement, des arbres sont déjà en fleurs, avec plus de deux mois d’avance.
X.Cabello--ESF