Athlétisme: Gervais Hakizimana, une vie et une mort liées à Kiptum
Il était l'homme de l'ombre, l'entraîneur discret de l'étoile montante du marathon Kelvin Kiptum: Gervais Hakizimana a trouvé la mort à 36 ans dimanche avec son poulain dans un accident de voiture au Kenya, mais son nom restera à jamais lié à celui du recordman du monde du marathon.
Le parcours de cet athlète rwandais de niveau correct avait été pour le moins atypique: il avait écumé les courses françaises et enchaîné les petits boulots avant de rencontrer le futur roi des 42,195 km.
Il y a quelques mois, le mystérieux Kiptum, ovni débarqué sur la planète marathon en décembre 2022 (vainqueur à Valence en 2h01:53), se présentait comme un athlète sans entraîneur. Mais au soir de son stupéfiant record du monde à Chicago, le 8 octobre 2023, il avait fièrement posé devant un panneau "2 h 00 min 35 sec", son nouveau record du monde -plus rapide que la légende Eliud Kipchoge, en compagnie de Hakizimana, qu'il avait alors présenté comme son entraîneur.
Ce Rwandais vivait entre le Kenya et la France, pays qu'il a rejoint en 2008 pour "changer sa vie", comme l'expliquait à l'AFP Philippe Plancke, un professeur des écoles dans le Nord et qui le connait bien.
Il y a 15 ans, Gervais Hakizimana débarque chez cet "entraîneur bénévole et passionné" qui l'héberge alors plusieurs mois, dans le sillage de Dieudonné Disi, international rwandais sur route, piste et en cross.
- Travailler "misérablement" -
Comme des dizaines de coureurs d'Afrique de l'Est, Hakizimana écume durant des années les courses de l'Hexagone pour, quand ça veut bien sourire, des primes de victoires de quelques centaines d'euros. Apprécié des organisateurs, il jongle entre le français, l'anglais et le swahili et officie à ce titre comme traducteur des athlètes kényans.
"Je vivais pour la course à pied. J'avais besoin d'argent, je courais tous les week-ends, avait-il raconté à l'AFP. Je payais la scolarité de jeunes de ma famille au Rwanda."
Mais, avec les années, alors que son niveau baisse et que les blessures s'enchaînent, il s'installe à Lyon et doit travailler "misérablement" pour vivre.
"Je travaillais dans la propreté, le nettoyage de bâtiments, les vitres par exemple, pour gagner un salaire, et justifier mes papiers", des visas temporaires, expliquait-il. Également coursier pour une plateforme en ligne, il se fait voler plusieurs fois son vélo avant de passer au scooter. En 2022, il est soulagé par l'obtention d'un permis de séjour de dix ans.
Pendant ses années françaises, Hakizimana se rend régulièrement au Kenya pour s'entraîner. C'est vers Chepkorio (ouest), où il avait une chambre à l'année, qu'il rencontre Kiptum, en 2013.
"Quand on faisait des séances de côtes dans la forêt près de chez lui, il était petit mais nous suivait, pieds nus, après avoir gardé les chèvres et les moutons", se souvenait-il.
Aux côtés d'autres locaux, Kiptum (né en 1999) grandit et s'accroche aux séances du Rwandais, concoctées par son entraîneur français et bientôt adaptées à sa sauce.
Leur collaboration décolle en 2020 lorsque Hakizimana reste bloqué plusieurs mois au Kenya à cause de la pandémie de Covid-19.
- Une vie décente -
"A Chepkorio on habite ensemble. C'est tout prêt de chez lui mais il vaut mieux qu'il ne rentre pas, il se prend une chambre, il faut qu'il se concentre, qu'il se coupe des distractions. Il ne fait que courir, manger, dormir", racontait l'entraîneur.
En France, dès 2013, Hakizimana aide Plancke à créer Unirun59, association qui aide des athlètes de haut niveau à chercher des financements pour leurs stages, déplacements et tenues. Le Rwandais, qui devient petit à petit entraîneur, est aussi leur découvreur de talent en Afrique.
Avant Kiptum, il coache le Kényan Kenneth Kipkemoi, vainqueur de l'important marathon de Rotterdam et 4e à Chicago en 2018. Las, Kipkemoi est suspendu deux ans pour dopage à un bêta-bloquant en 2020, une sanction atténuée, l'antidopage ayant retenu une "négligence" dans un traitement médical.
"Le dopage est partout au Kenya, déplorait-t-il alors. Mais ce sont surtout les maladroits qui sont attrapés, victimes d'un manque d'éducation et d'information."
Hakizimana comptait sur sa collaboration avec Kiptum pour enfin jouir d'une vie décente. Leur histoire commune s'est arrêtée brutalement sur une route de la vallée du Rift, dimanche soir au Kenya.
M.Aguado--ESF