TotalEnergies visé par une enquête pour greenwashing à Nanterre
Une enquête judiciaire a été ouverte pour "pratiques commerciales trompeuses" dans le domaine de l'environnement contre le groupe pétrolier et gazier français TotalEnergies, qui promeut partout son ambition de neutralité carbone et se défend en rappelant qu'il investit aussi dans les énergies renouvelables.
L'enquête a été ouverte en décembre 2021 par le pôle économique et financier du parquet de Nanterre (Hauts-de-Seine), après la plainte au pénal, en octobre 2020, de plusieurs associations de défense de l'environnement, a appris jeudi l'AFP de source proche du dossier, confirmée par le parquet.
Ces associations (Wild Legal, Sea Shepherd France et Darwin Climax Coalitions) accusent le géant pétrolier de dégradation de l'air, selon la plainte consultée par Mediapart.
A ce stade, le parquet se concentre sur le délit potentiel de pratiques commerciales trompeuses, ce qui peut faire référence aux communications du groupe promouvant sa stratégie climatique. C'est sur ce motif-là qu'une autre action a été lancée, au civil, par trois autres ONG dont Greenpeace l'an dernier.
"Le greenwashing au nom du développement durable est un cynisme durable", a tancé William Bourdon, avocat des associations écologistes. "L'insincérité des engagements de Total conduira nécessairement à un procès pour pratiques commerciales trompeuses", a-t-il avancé auprès de l'AFP.
C'est ce qu'espère aussi la juriste de Greenpeace impliquée dans le recours au civil, Clara Gonzales. "Quoiqu’il arrive à l’issue de cette enquête préliminaire, cela démontre que les entreprises courent un risque grandissant quand elles ont ce type de pratiques", analyse-t-elle pour l'AFP. "Quand on est pétrolier ou gazier et qu’on communique à tout va sur des engagements climatiques non fondés scientifiquement selon nous, la réponse judiciaire est là."
Contacté par l'AFP, TotalEnergies indique n'avoir "aucune information sur la plainte évoquée. Et ni la Compagnie ni ses dirigeants n’ont reçu de demande d’audition à ce sujet".
- "Ecocide" -
La multinationale basée à Paris a adopté une ambition de neutralité carbone en 2050 mais ajoute toujours "ensemble avec la société", c'est-à-dire qu'elle conditionne cette ambition à l'engagement climatique des pays, proposant que tant que le monde aurait besoin de pétrole ou de gaz, elle continuerait à en fournir. Et ses propres documents prévoient une empreinte carbone totale à peine réduite d'ici 2030, par rapport à 2015.
Elle cite "des investissements", des "nouveaux métiers" et une "baisse significative des émissions de gaz à effet de serre", réduites en Europe de "23% entre 2015 et 2021". TotalEnergies ajoute avoir désormais "17 gigawatts (GW) de capacités renouvelables (éolien, solaire...) installées dans le monde, contre près de 0 GW en 2018".
Pour Wild Legal, TotalEnergies "dans sa communication affiche son objectif de neutralité carbone alors même que la société poursuit ses investissements dans des énergies fossiles fortement polluantes en France et ailleurs".
"Cette stratégie de communication vise à tromper les consommateurs, alors que pour une grande majorité d'entre eux, la politique environnementale d'une entreprise est un critère substantiel de leurs choix d'achat", estime l'association.
Un complément de plainte, en 2021, mentionne le développement d'ici 2025 de 400 puits de forage pétrolier en Ouganda, le projet Tilenga, prolongé par la réalisation d'un pipeline de plus de 1.400 km (projet Eacop).
En avril 2022, elles ont de nouveau porté plainte, reprochant "d'autres pratiques" à l'origine selon elles "d'un écocide", a expliqué à l'AFP le ministère public. Encore à l'étude, cette plainte n'a pas, à ce stade, provoqué l'ouverture d'une enquête ou été jointe aux investigations en cours.
Ce n'est pas la première fois que les projets de TotalEnergies sont dans le viseur de la justice. Fin décembre, le géant a été assigné par six ONG pour sur son mégaprojet pétrolier en Ouganda et en Tanzanie, en vertu d'une loi qui depuis 2017 impose aux multinationales un "devoir de vigilance" sur leurs activités mondiales.
La décision dans cette affaire sera rendue le 28 février.
En parallèle, à Nanterre, l'enquête pour "pratiques commerciales trompeuses" se poursuit.
Pour Clara Gonzales de Greenpeace, l'intérêt de ces procédures nouvelles est de donner "au juge l'opportunité de trancher ce débat, et de renforcer le cadre juridique de la communication des entreprises."
C.Aguilar--ESF